Propriétaires véreux et logements insalubres courent les rues bordelaises. Les démarches pour les contrer intimident souvent les jeunes locataires. La faute à un système lent manquant cruellement de moyens.
« On avait des gros problèmes d’isolation. On descendait à 13°C l’hiver dans le salon. Ce n’était pas vraiment vivable, se souvient Julien avec dépit. Des rats traversaient l’appartement et les propriétaires nous rétorquaient “vous n’avez jamais vécu à la campagne ?” Il y avait aussi des grosses fuites, il pleuvait littéralement chez nous ! C’est pas qu’on avait les pieds dans l’eau, mais pas loin. » Pendant neuf mois en 2019 avec ses colocataires Louis et Antoine, Julien a vécu dans des conditions épouvantables dans un 60 m2 rue de Candale, à proximité de la place de la Victoire. Le propriétaire de leur appartement, gérant de 26 sociétés civiles immobilières (SCI) dispatchées dans la ville, est longtemps resté muet face aux sollicitations des trois étudiants, aujourd’hui âgés de 22 ans. « On tombait toujours sur un adjoint, sa femme voire ses enfants au téléphone et ils expédiaient nos requêtes » en rit presque Louis. Dans sa chambre, le plafond, branlant, menaçait de s’effondrer.
La situation devenue invivable, le trio décide finalement de quitter le logement, mais les problèmes se poursuivent. Antoine raconte :
Une caution de 1500 € est en jeu. Conseillés par un avocat parisien qu’ils connaissent, les trois diplômés de Sciences Po Bordeaux se renseignent sur les procédures à mener pour intenter un procès à l’escroc. Julien se remémore la complexité des poursuites.
« C’est pas pour 200 euros qu’on va poursuivre notre propriétaire »
Après la mise en demeure, le propriétaire du taudis finit par lâcher du leste et accepte de rendre 1300€ sur les 1500 initialement déposés. Une marge de 200€ que les trois garçons et leurs parents garants de l’appartement laissent filer. « On a bien vu qu’ils ont fait exprès de garder un petit montant, parce que faute de moyens on ne pouvait pas aller plus loin : c’est pas pour 200 € qu’on va poursuivre notre propriétaire. » Un aveu d’impuissance courant selon l’avocat bordelais Yoann Delhaye, spécialiste des contentieux de baux immobiliers : « les locataires jettent l’éponge avant et préfèrent trouver une solution de relogement avant de partir dans un bras de fer judiciaire comme celui-là. »
En cas d’échec d’une solution à l’amiable, les étapes sont nombreuses à partir du recours à un juge des contentieux. Par exemple, dans le cas d’un logement insalubre, la procédure nécessite l’intervention d’un expert judiciaire désigné par le tribunal qui aura pour mission de jauger l’état du logement. « L’expertise judiciaire a un coût et prend du temps : ça prend facilement six à neuf mois » estime Yoann Delhaye.
Conseillère-juriste chez ADIL 33, Marie Nicolas informe les locataires et propriétaires de leurs droits. Sa structure conventionnée par l’Ordre des Avocats du Barreau de Bordeaux tente de simplifier les formalités : « Même si le justiciable devra payer son avocat, nous accompagnons son dossier. C’est pas facile lorsqu’on ne connaît pas de professionnel·les et qu’on se demande vers qui se tourner. » Malgré l’aide qu’elle fournit, la juriste reconnaît elle aussi que les démarches découragent : « Il y a plein de gens qui font le dos rond par méconnaissance, à cause des délais, ou parce qu’ils n’ont pas envie de batailler avec le propriétaire.»
40 à 50 dossiers par juge et par matinée
Fin octobre 2020, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice dévoilait des chiffres alarmants sur la situation française : l’Hexagone compte en moyenne 11 juges pour 100 000 habitants, soit deux fois moins que la moyenne européenne. Seul·es trois juges de tribunaux judiciaires, en charge des problématiques de logement, officient pour les 1,62 millions de Girondins. Ex-avocate en droit du logement, Marie Nicolas confirme : « Une audience le vendredi matin, faut-y aller, c’est impressionnant ! En procédure accélérée, il y avait 40 à 50 dossiers à traiter dans la matinée. Pour un juge seul. » Et le ton est le même chez les bâtonnier·es qui interviennent au titre de l’aide juridictionnelle ou avec des grilles honoraires accessibles aux locataires peu fortunés : « On intervient sur 20 à 25 dossiers en même temps et on doit parfois faire du nombre au détriment de la qualité », souffle Maître Delhaye.
Les magistrat·es bordelais·es se réunissaient mercredi 15 décembre devant le tribunal judiciaire de Bordeaux. Tout en haut de la liste des revendications : une justice plus humaine et avec plus de moyens. « Le personnel a une surcharge de travail, il y a un clair impact sur les relations entre propriétaires et locataires », regrette Marie Nicolas. « Si on avait plus de juges, plus de moyens donc plus d’audiences, les gens se sentiraient entendus. »
Paul Lonceint-Spinelli