Jeune fille un peu niaise. Telle est la définition du terme bécassine dans les dictionnaires. Il désigne aussi le premier personnage féminin de la bande dessinée française, qui a célébré en 2015 ses 110 ans. Dans un secteur à dominance masculine, ce n’est que tardivement que les héroïnes ont abandonné leur rôle de faire-valoir ou de ravissante idiote pour devenir des personnages principaux à part entière. Récit d’un parcours d’un(e) combattant(e).
Les femmes dans la BD : mauvais genre ! Le thème de la rencontre-débat proposé mercredi soir à la librairie la Machine à lire par l’association Mediactuelles annonce la couleur. Les femmes et la bande dessinée ne font pas bon ménage. Que ce soit pour ses personnages ou ses auteurs phares, le monde de la bande dessinée a souvent été estampillé ‘domaine masculin’. Si les personnages féminins font leur apparition dès les prémices du neuvième art, l’image de la femme y est alors peu flatteuse.
De la bécasse à la bombasse
La rencontre-débat s’ouvre sur une citation de Pierre Christin, scénariste de la série Valérian et Laureline : ‘la bande dessinée est faite par des vieux petits garçons pour des jeunes petits garçons’. La primeur est donc donnée aux Tintin, Lucky Luke, Spirou et autres Astérix, qui ne laissent que peu de ‘bulles’ aux personnages féminins. Force est également de constater que les premières représentantes du ‘sexe faible’ ne brillent pas par leur charisme et leur personnalité.
Alors qu’en France naît la sympathique, mais un peu niaise Bécassine en 1905, il faut attendre 1961 pour qu’aux Etats-Unis, Marvel présente sa première super héroïne, Susan Storm, membre des quatre fantastiques, dont le principal pouvoir est d’être… invisible. ‘Le personnage féminin dans la bd existe depuis le 19e siècle, mais il n’est pas forcement valorisé. Il est soit bouc émissaire ou ramenée du côté de la femme au foyer, de la femme maman’, explique Eric Audebert, ancien libraire spécialisé en bd et directeur artistique de l’association 9-33, qui organise le festival Regard9, la bande dessinée autrement. Pour l’émancipation, il faudra encore attendre. Les personnages féminins resteront un certain temps cantonnées dans le rôle de faire-valoir du héros masculin, tout juste bon à minauder ou à se faire sauver à chaque occasion (on citera pêlemêle La Schtroumpfette, la Castafiore, ou encore Loïs Lane pour les comics).
Le tir est quelque peu corrigé dans les années 1960 en France. En 1962, apparaît le personnage de Barbarella créée par Jean-Claude Forest. Mais cette héroïne, comme d’autres, se retrouvera vite prisonnière d’une nouvelle tendance : l’hyper-sexualisation. Son histoire est intéressante et regorge d’aventure mais ce qui importe le plus, ce qui est mis en avant, c’est sa plastique.
Le combat mené par les personnages féminins de BD va pourtant porter ses fruits avec l’arrivée en 1976 d’Adèle Blanc-Sec, l’héroïne spécialiste des enquêtes mystérieuses et fantastiques de Tardi, célibataire et fumeuse. Depuis, les rayons se sont remplis d’albums mettant en scène des femmes modernes, portées par un lectorat féminin de plus en plus grand. « L’apparition du récit autobiographique a amené un nouveau public de femmes, qui ne se retrouvaient pas forcément dans le style d’avant « , décrypte Eric Audebert, en citant des références comme Persépolis de Marjane Satrapi ou les œuvres « trash » de la canadienne Julie Doucet. Style repris en France par les artistes Pénélope Bagieu, Margaux Motin ou Diglee. De la bande dessinée dite « girly », qui s’approprie les clichés et présente des femmes modernes, caricaturées au possible. Si cela reste sous le couvert de l’humour, certaines œuvres font parfois bondir les féministes, qui y voient un véritable retour en arrière.
Jeannette Pointu, Yoko Tsuno, Laureline (qui a du attendre 40 ans avant d’être incluse dans le titre de la BD Valerian), l’héroïne Marvel Kamala Khan ou les tueuses de zombies américaines de The Walking Dead, autant de modèles à suivre, qui tranchent avec la passivité de leurs ancêtres.