Les super-héros tirés de Comics affolent le box-office depuis le début des années 2000. Un succès pour ces personnages fictifs créés à la fin des années 30. Objets sociologiques à part entière, ils sont le reflet d’une société qui évolue, tant bien que mal.
Une vraie rupture avec le cinéma adapté de l’univers des Comics. Depuis sa sortie en salles mi-février, Black Panther, blockbuster au succès record, alimente le débat. En décidant de promouvoir à l’écran un héros noir et des personnages féminins forts, son réalisateur, Ryan Coogler, a déclenché plusieurs polémiques. Dans une Amérique probablement plus divisée que jamais, l’écho politique et social de son film est retentissant. Et pour cause. Black Panther s’inscrit dans l’Amérique de Donald Trump et du mouvement Black Lives Matter (né pour dénoncer les violences policières contre les Noirs), à l’heure où les questions d’appropriation culturelle aux Etats-Unis nourrissent les réseaux sociaux.
« Black Panther est le premier film tiré de Comics à poser de vraies questions politiques et sociales. Il y a une vraie réflexion autour des problématiques de ségrégation et d’inégalités qui touchent le monde d’aujourd’hui, et particulièrement les Etats-Unis. » explique Siegfried Würtz, doctorant en littérature comparée à l’université Bourgogne Franche-Comté.
Black Panther voit le jour en juillet 1966, en plein cœur de la lutte pour les droits civiques, la même année que la consécration du concept du Black Power dans le discours de Stokely Carmichael. Ses créateurs, Stan Lee et Jack Kirby, le font apparaître dans la série ultrapopulaire des Quatre Fantastiques. En plaçant l’intrigue de Black Panther dans un pays africain utopique et lointain, ils s’épargnent tout commentaire politique de leur société et de la communauté noire de New York, ville des principales intrigues de Marvel. On y découvre alors T’Challa alias Black Panther, un richissime prince africain aux capacités physiques extraordinaires. A la mort de son père, il prend la tête du Wakanda, un pays où se mêlent traditions et très hautes technologies, et qui possède des ressources inépuisables d’un métal aux propriétés fantastiques.
En 1969, le Black Panther Party prend racine dans la société américaine. Pour éviter d’être associée au jeune mouvement révolutionnaire, la Panthère noire est temporairement rebaptisée « Léopard noir ». En un peu plus de cinquante ans, les albums contant les aventures du héros se succédent, jusqu’à la parution de la célèbre série de Christopher Priest dans les années 1990. En dépit de la déferlante de messages racistes des détracteurs du film sur les réseaux sociaux, tous ses albums ont été republiés depuis la sortie du film.
A l’instar du basketteur américain LeBron James (voir vidéo ci-dessous), des personnalités de tous bords ont aussi rapidement réagi pour défendre l’adaptation de la BD au cinéma et son message engagé, si bien que le slogan du film, « wakanda for ever », a définitivement franchi la barrière de la fiction.
Miroir social
Les Comics reflètent les thèmes forts de l’époque, les tensions et les paradoxes qui la traversent. Ils révèlent aussi les attentes et les espérances qui la caractérisent.
Au-delà du cas de Black Panther, les exemples ne manquent pas pour illustrer l’étroite relation qui existe entre Comics et société. Parmi les exemples les plus emblématiques de ce rapport entre réalité et fiction sociales figurent les X-MEN, portés à l’écran dès les années 2000. « Les X-Men nous disent beaucoup de choses sur notre époque et notre société. Ces héros, rejetés à cause de leurs pouvoirs, sont pour leurs auteurs un moyen de dénoncer la xénophobie de la société. C’est aussi l’un des messages que cherche à faire passer Black Panther. » explique Bruno, libraire chez Pulp’s à Bordeaux. Ces connexions sont tout aussi significatives dans la dernière trilogie de Christopher Nolan sur Batman, misant sur l’univers sombre et chaotique de Gotham City pour mieux faire écho aux peurs des grandes villes d’aujourd’hui, rongées par la défiance, l’insécurité et l’instabilité politique. Ou encore dans Civil War, qui met l’accent sur l’émergence de la société de surveillance et cristallise dans des figures antagonistes (Captain America et Iron Man) l’un des conflits qui divise l’Amérique d’aujourd’hui : d’un côté, l’Amérique de Norman Rockwell et du rêve américain traditionnel (incarné par Steve Rogers, le héros au bouclier) et, de l’autre, celle de la haute technologie, du numérique et des groupes privés surpuissants (symbolisée par le milliardaire en armure Tony Stark).
Les Comics disent aussi quelque chose d’essentiel sur le mal de nos sociétés en quête permanente de leaders capables de défendre des valeurs universelles comme l’égalité, la justice et la liberté, alors que les menaces qui pèsent sur elle ne cessent de grandir (terrorisme, nationalisme, crise écologique, etc.). Les super-héros traduisent un besoin de dirigeants responsables, charismatiques et bienveillants. Ils incarnent le modèle du souverain justicier et compatissant, protecteur du peuple et artisan de la prospérité. « La figure du sauveur est toujours présente dans les Comics. Elle répond à un besoin pour le lecteur de se rassurer avec des modèles qui le dépassent, dans une société menacée » explique le journaliste Vincent Brunner, également auteur de l’ouvrage Les super-héros, un panthéon moderne.
Avec Black Panther, le genre a franchi une nouvelle étape. Il répond néanmoins en premier lieu à des enjeux financiers et de divertissement. Comme le souligne Siegfried Wurtz : « Le film souffre assez naturellement de sa concision, de ses exigences de rentabilité et de l’image sociale de ce qu’un film de super-héros peut faire et ne peut pas faire. En ce sens, il ne brille finalement qu’en donnant une véritable visibilité à un casting noir et féminin dans un genre connu pour sa difficulté à gérer les problèmes de représentation ».
Une chose est sûre, les scénaristes de Comics n’ont pas fini de traduire en dessins et en images les symboles et symptômes de notre époque…