A l’occasion de la semaine de la Francophonie, Imprimatur vous fait voyager sur les cinq continents, du lundi au vendredi, à la rencontre de nos voisins francophones. Au programmes reportages et découvertes de ces communautés qui font la richesse de notre langue.
Notre troisième voyage nous emmène au Sénégal, terre natale du père de la Francophonie Léopold Sédar Senghor. Auteur de l’article fondateur de la Francophonie, « Le Français, langue de culture » paru dans la revue Esprit en 1962, le poète et homme politique sénégalais décédé le 20 décembre 2001 a été durant toute sa vie un grand amoureux de la langue française. Il s’est attelé à faire de cette langue un moyen d’entraide entre les peuples.
Sa plume de poète délivrait des vers d’une justesse exquise. Sa qualité d’orateur, elle, en faisait un homme politique charismatique. A l’écrit comme à l’oral, Léopold Senghor a toujours eu une maîtrise parfaite de la langue française. Sa langue de prédilection. « Je pense en français ; je m’exprime mieux en français que dans ma langue maternelle », avouait-il volontiers.
Quand, en 1962, Senghor écrit « le Français, langue de culture », en réalité, ce n’est pas juste un article pour légitimer la portée de la langue française. C’est une déclaration d’amour à cette langue.
Né à Joal, au Sénégal, le 9 octobre 1906, c’est par son père, un commerçant aisé, qu’il fait la rencontre de la langue française. Le coup de foudre est immédiat. L’idylle peut alors débuter. Il la cherche partout au point de devenir un passionné de littérature française. Il observe sa structure, examine ses figures, s’intéresse à sa poésie. Il part à Paris en 1923 pour poursuivre ses études au lycée Louis le Grand. Il ira même jusqu’à l’enseigner, à partir de 1938, en devenant professeur de lettres classiques et de grammaire au Lycée Descartes à Tours.
Homme de lettres, Senghor est également un homme politique. Il est une de ces personnalités africaines qui a joué un rôle majeur dans la décolonisation des pays africains. En 1960, le Sénégal est indépendant et Senghor en devient le premier président à 44 ans. Mais, même dans son nouveau statut de chef d’Etat, Senghor n’oublie pas cette langue qu’il chérit tant. Bien au contraire. Il l’érige au rang de langue officielle. La langue de l’ancien colon devient celle des nouveaux Sénégalais.
Métis culturel
Sans jamais renier ses racines sérères, le poète sénégalais ne cache pas son envie de voir naître une Francophonie. De l’idée à la réalisation, le projet fait son bout de chemin. En 1970, l’Organisation internationale de la Francophonie est fondée. Joli cadeau offert à la langue française. « Senghor avait un grand rêve, fort et sincère, celui de faire rayonner la langue française à l’échelle internationale », explique Catherine Pont-Humbert, spécialiste de littérature francophone.
Mais derrière sa relation amoureuse réelle, le poète sénégalais est un stratège. Senghor a saisi l’utilité du français et ce qu’il représente sur la scène internationale. « C’est d’abord, pour des raisons politiques » et les relations diplomatiques que le français est utile, explique-t-il dès 1962 dans son article fondateur. En 1960, « à l’ONU, le tiers des délégations s’exprime en français ». Mais « la principale raison de l’expansion du français hors de l’hexagone, de la naissance d’une Francophonie, est d’ordre culturel ». Bien qu’amoureux, Senghor reste lucide. Et si l’amour rend aveugle, Senghor est l’exception qui confirme la règle. Ses yeux sont bien ouverts et voient tout ce que peut apporter le français aux peuples francophones.
Décrié par une partie des Sénégalais qui ne comprennent pas cet éloge de la langue du colon, Senghor assume ses positions. Il prône ce qu’il appelle le métissage culturel, mélange entre la culture de l’ancien occupé et de l’ancien occupant. À ses détracteurs, ce « métis culturel » s’amuse à répondre qu’ « on est beaucoup mieux sur deux jambes que sur une seule ».
La France durant la période coloniale a diffusé le français sur les cinq continents. Et son influence a marqué durablement les territoires anciennement colonisés. Et ça, Senghor – tout comme son ami et camarade de pensée martiniquais Aimé Césaire – l’avait compris. Aujourd’hui, les faits sont là : 274 millions de francophones. L’OIF compte 80 pays membres, soit 1 milliard de personnes, réparties aux quatre coins du globe. « Si aujourd’hui les plus grandes institutions françaises accueillent des auteurs africains ou haïtiens, c’est grâce à des pionniers comme Senghor et Césaire. Sans eux, ça n’aurait pas pu exister », assure Catherine Pont-Humbert.
Et tout comme Senghor l’écrivait, en français bien évidemment, avec ce sens de la formule dont lui seul avait le secret : « L’ennemi d’hier est un complice, qui nous a enrichi en s’enrichissant à notre contact ».