L’exposition Refuges de Leila Sadel a ouvert ce mercredi 28 novembre au Musée d’Aquitaine. Pendant un an, la photographe franco-marocaine a côtoyé les migrants de l’agglomération bordelaise sur leurs lieux de vie. Plutôt que de photographier les visages, l’artiste a choisi de mettre en scène les objets et endroits chers à ces exilés. Sans pour autant porter un message politique très marqué, elle cherche à dénoncer les conditions dans lesquelles ils vivent.
IMPRIMATUR : Pour cette exposition vous vous êtes rendue dans les bidonvilles et squats de l’agglomération bordelaise. Qu’avez-vous pu constater ?
LEILA SADEL : Je suis allée plusieurs fois à “La Ruche”, un squat rue du Mirail. J’y étais pendant des périodes hivernales et c’était compliqué. A part les chambres, rien n’était chauffé. Mais ils ont réussi à construire une solidarité autour d’eux, ce qui leur permettait de vivre assez correctement malgré les conditions compliquées. Je pense qu’ils étaient assez soutenus. Sauf par la région, qui a ensuite récupéré le lieu du squat (expulsé à la fin de l’été, NDLR). Au final ils sont toujours dans cette peur de se retrouver dehors du jour au lendemain.
Dernièrement on a vu beaucoup de projets et d’expositions sur les migrants, notamment celle d’Anne A-R à l’Institut du Monde Arabe à Paris qui se focalise sur des portraits. Pourquoi prenez-vous la tangente en vous concentrant sur l’objet et les lieux plutôt que sur l’humain ?
Mon travail ne se centre pas sur les prises de vue de personnes. Je préfère contourner, car je ne suis pas très frontale dans mon rapport aux personnes. J’aime parler des gens mais autrement. Et les objets permettent de le faire. Les objets, ce sont aussi des lieux mobiles, des lieux de projection mais encore des souvenirs; on peut les emporter avec soi.
Il faut savoir que le programme de recherche dans lequel la commande a été faite – les frontières et les lieux de transit en Aquitaine du 19eme au 21eme siècle – orientait déjà un petit peu mon point de vue sur le sujet.
L’objet et le lieu sont donc une meilleure façon de rentrer dans l’intimité des personnes rencontrées ?
Je ne sais pas si c’est la meilleure manière mais cela correspond plus à la démarche que j’essaie de développer : parler de soi mais autrement. Après je n’ai jamais poussé les gens à me raconter tout ce qu’ils avaient vécu. L’objet et le lieu, c’était une façon de faire émerger des choses qui étaient importantes à leurs yeux. Les repères qu’ils ont pu reconstruire ici à Bordeaux sont forcément en lien avec ce qu’ils ont pu vivre avant.
Photographier ces repères ne vous a pas donné le sentiment d’exposer l’intimité de ces migrants?
Si, mais c’est pour ça que, dès le départ, j’expliquais aux personnes qu’elles étaient libres de me raconter leurs histoires ou non, d’être évasives, de ne pas me donner tous les détails ; parce que je sais qu’ils ont pu vivre des moments très compliqués et qu’ils n’ont pas forcément envie d’en parler. Au début du projet j’enregistrais ces conversations mais j’ai vite abandonné parce que cela les plaçait dans une situation de stress. Je comprends qu’ils ne veuillent pas me raconter ce qu’ils n’ont pas arrêté de répéter aux institutions pour essayer d’obtenir leurs papiers. Je n’avais pas envie de les forcer.
Vous avez côtoyé ces migrants pendant une longue période, un an. Vous avez forcément tissé des liens avec eux ou du moins développé une certaine empathie. Ce rapport privilégié vous a-t-il poussé à dénoncer la situation dans laquelle ils sont ?
Je pense surtout dénoncer l’attente qu’ils subissent. Ne rien pouvoir faire de leur journée à part tuer le temps, prendre un café avec d’autres personnes ou jouer à des jeux de société. Ils n’ont pas le droit de travailler et ne font qu’attendre leurs papiers. Ce n’est pas bon pour le moral.Je ne connaissais pas du tout le milieu des migrants alors je me suis intéressée au parcours juridique qu’ils traversent pour la demande d’asile. Cela m’a questionné sur ce que je pouvais apporter à travers mon travail et cette exposition. Après je ne pense pas avoir un engagement politique dans mon travail mais je défends les causes qui me tiennent à coeur et je souhaite que mes opinions puissent être véhiculées à travers ce travail.
Vos précédents projets étaient plus conceptuels. Est-ce que cette exposition s’inscrit dans une nouvelle démarche plus activiste ? Est-ce que le but est de rendre visible ces situations précaires ?
Oui, de toute façon c’est un peu le but de cette exposition qui va ensuite se poursuivre à Pau avec un photographe qui a réalisé des prises de vue à Lampedusa, lors de l’arrivée de migrants. Mon travail se situe dans la continuité : ce qu’il se passe après cette arrivée.
Mes anciens travaux n’étaient pas aussi engagés. Enfin, c’est surtout le sentiment de non-appartenance à un lieu qui m’intéresse. J’ai vécu au Maroc mais je suis arrivée en France à l’adolescence. Je ne me sens chez moi nulle part. C’est une thématique qui peut se rattacher à beaucoup de questions sociétales actuelles. Notamment celle des dernières générations de maghrébins qui ne se sentent chez eux ni en France ni dans le pays d’origine de leurs parents, parce qu’ils ne parlent pas la langue.
Cette exposition est une commande du Musée d’Aquitaine. Est-ce que les organisateurs vous ont imposé des limites ou une direction à prendre ?
Ils n’ont pas du tout interféré dans mon travail et m’ont fait entièrement confiance sans jamais m’orienter pendant le projet. Ce qui m’importe c’est d’avoir montré quelque chose qui soit en accord avec mes idées et le reste de mon travail. Après, forcément, les politiques vont chercher à récupérer ce qui se fait. Mais je ne suis pas le Musée d’Aquitaine.
Propos recueillis par @Marti BLANCHO