Depuis mars dernier, le monde de la culture est désespérément à l’arrêt. Il doit lutter, faire preuve d’ingéniosité et d’unité pour garder la tête hors de l’eau. Mardi, devant la préfecture de Gironde environ 450 personnes se sont réunies pour crier à l’injustice, suite à la décision du gouvernement de ne pas rouvrir les établissements culturels. Nous sommes allées à la rencontre d’artistes qui veulent tous faire passer un message: la culture doit se déconfiner au plus vite.
Jour de tonnerre pour le monde de la culture qui manifestait un peu partout en France ce mardi. A Bordeaux, d’imposants nuages gris menacent d’exploser au-dessus des manifestants, et ce ne serait pas la première douche froide pour les artistes s’il se mettait à pleuvoir. A l’heure où la France se déconfine, les cinémas, théâtres, musées ou encore salles de concert restent fermées suite à l’annonce tonitruante du premier ministre Jean Castex seulement cinq jour plus tôt: « Nous réexaminerons la possibilité de les rouvrir à partir du 7 janvier en fonction de la situation sanitaire ». Un choix politique vécu comme une punition sévère par les premiers concernés. « C’est injuste et assez violent, pour nous et pour le public qui a envie de se divertir, de s’émerveiller, de se cultiver… » désespère Jean-Marc, intermittent qui ponctue ses propos par des saluts de la main à des amis venus eux aussi exprimer leur colère.
Plus qu’une question d’argent
L’impact de la crise sanitaire entraînera une baisse de chiffre d’affaires de 25 % pour l’industrie culturelle en 2020, selon le Ministère de la culture. C’est à ce titre qu’une enveloppe de 2 milliards d’euros lui a été dévouée dans le plan de relance dévoilé en septembre. Les nouvelles aides annoncées mardi par le gouvernement ? « Un petit extincteur de 35 millions d’euros », entend-on dans le mégaphone des délégués syndicaux. Pas suffisant pour éteindre le feu de la colère des professionnels du secteur.
Mais les difficultés économiques qui les minent ne sont pas, ou plus, ce qui les préoccupe en premier lieu. La réouverture des lieux culturels répond plutôt à un besoin social essentiel. « Je ne suis pas là seulement pour dire qu’on est en train de perdre de l’argent, mais surtout qu’on nous prive de culture ! Une société sans culture, c’est totalement inconcevable, dramatique et effrayant » condamne Marie-Pierre, technicienne de cinéma, venue manifester avec ses collègues.
Même si des initiatives ont été prises pour garder à tout prix un lien avec le public, les artistes veulent retrouver leurs confrères, répéter dans de bonnes conditions et ressentir à nouveau l’énergie d’un public en chair et en os.
« Diviser pour mieux régner »
Malgré la colère, l’émulation collective peine à se faire sentir. Peu de musique, peu de chants, peu de cris émanant de la foule. Sans doute parce que fractures et frustrations s’accumulent. Framboise Thimonier, déléguée régionale du Synptac CGT Aquitaine se dit néanmoins satisfaite d’avoir été reçue par des représentants préfectoraux: « Nous avons fait part de notre stupéfaction face à l’inégalité de traitement comparé à d’autres secteurs d’activité ». Elle confie s’être sentie écoutée par une vice-préfète qui reconnaît que cette situation inégale n’est “pas soutenable”. Mais ce soulagement se mêle aux doutes murmurés dans la foule puis à un cri “Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?”.
D’après Aurélien, percussionniste venu manifester sans son masque, les dirigeants appliquent la stratégie du « diviser pour mieux régner ». Les pouvoirs publics feraient preuve de favoritisme à l’égard des commerces et des lieux de culte. Les subventions, réparties selon les secteurs artistiques donnent à certains le sentiment d’être lésés à l’instar de Brenda, étudiante comédienne au Conservatoire, selon qui “le théâtre, comme d’habitude, ne va pas recevoir grand chose”. Et par dessus tout, les aides d’Etat peinent à ruisseler jusqu’aux petites structures, au profit des plus grosses.
Peu d’espoir dans le discours des personnes rencontrées sur place quant à la reprise des activités le 7 janvier, et les syndicats appellent à continuer la résistance politique. Un référé liberté, soutenu par la ville de Bordeaux a été déposé. Si elle aboutit, cette procédure judiciaire pourrait permettre la réouverture des établissements culturels.
Crédits: Fanny Narvarte