La mobilisation en Guyane est inédite par son ampleur et plus encore par sa diversité.La société civile représentée par le collectif « Pou Lagwiyann Dékolé » (« pour que la Guyane décolle ») négocie en direct avec le gouvernement et relègue les élus et les parlementaires à un statut d’observateurs.
Justin Daniel , professeur de science politique à l’Université des Antilles, propose son éclairage sur ce mouvement de contestation.
Comment expliquez-vous le désaveu du collectif à l’égard des élus ?
Le collectif « Pou Lagwiyann Dékolé » considère qu’il y a une perte de légitimité du personnel politique. Pour eux, la démocratie a rencontré ses limites et le fossé s’est accentué entre les décideurs et les citoyens. Les élus sont comme frappés de mutité, ils ne sont pas audibles. Le ressenti des Guyanais s’est aggravé à cause de la hausse de la criminalité, du chômage. La situation sociale dégradée est perçue comme un abandon de la part de l’Etat et des élus.
La société civile a commencé à se mobiliser et à investir dans ce collectif, notamment les fameux « 500 frères » qui ont supplanté les élus dans le rôle d’articulation des revendications.
Les élus cherchent cependant à revenir dans le jeu, mais ils ne sont pas en position de force. Ils sont donc dans une posture d’accompagnement car ils n’ont absolument pas le contrôle du mouvement.
La forte abstention aux élections est-elle le reflet d’un désintérêt de la vie politique ?
Il y a traditionnellement dans les Outre-mer et en particulier en Guyane un abstentionnisme structurel. On vote moins dans ces territoires que dans l’Hexagone pour
toutes les élections, à l’exception peut-être des élections municipales et dans une moindre mesure l’élection présidentielle.
On observe une hausse tendancielle de l’abstention depuis plusieurs années qui
s’explique par la crise qui affecte la démocratie représentative en Guyane et ailleurs. Il y a un rapport de défiance et de méfiance à l’égard du personnel politique qui est jugé inefficace face à l’ampleur des attentes.
Peut-on alors parler de victoire de la démocratie participative en Guyane ?
La démocratie participative est un thème très à la mode qui connait une fortune d’autant plus intéressante que la démocratie représentative est en crise. Elle apparaît comme une forme de substitut ou de complément à cette dernière.
Tout le monde est d’accord sur le diagnostic : la démocratie représentative a atteint ses limites. Mais on n’a pas aujourd’hui trouvé de véritable solution alternative.
La société civile s’organise autour de structures déjà en place qui articulent les demandes et les revendications. L’expérience révèle cependant que les personnes qui coordonnent ces mouvements tendent à se couper progressivement de la base et finissent par reproduire les défauts de la démocratie représentative.
Le collectif souhaite jouer un rôle dans l’application du plan gouvernemental. Est-ce réaliste ?
C’est un tournant extraordinairement difficile à négocier, on l’a bien vu avec le mouvement de contestation LKP en Guadeloupe en 2009. Le LKP a renoncé à franchir le pas. Il y a une sorte de distance, de rupture même entre la conduite d’un mouvement social d’un côté et la participation au processus décisionnel de mise en oeuvre des politiques publiques de l’autre.
Le problème, c’est que la démocratie représentative, dans sa version la plus classique, pourrait effectivement reprendre la main sans que les représentants actuels du mouvement puissent véritablement peser sur les décisions finales.
Aujourd’hui, notre système ne permet pas d’établir un lien entre les deux.
Justin Daniel est professeur de science politique à l’Université des Antilles, Faculté de droit et d’économie de la Martinique et Directeur du Laboratoire Caraibéen de Sciences Sociales.