À côté de Bordeaux, la maison d’arrêt de Gradignan regroupe délinquants et criminels. Les femmes de détenus sont les dommages collatéraux de la privation de liberté.
Ici tout est gris : le ciel, les barbelés, les murs de béton. Debout face aux grandes portes de la prison, seule Marine redonne de la couleur à l’endroit avec ses habits bariolés. Elle a vécu la comparution immédiate de son compagnon devant les juges et c’est sa vie de couple qui a basculé. La jeune femme aux grands yeux noirs lâche un sourire embarrassé : « On avait nos habitudes, des projets. Ça devient impossible du jour au lendemain » témoigne-t-elle. Son compagnon a pris 16 mois de prison ferme. Pour les femmes de détenus, l’absence est le problème numéro un. Un amour qui se vit désormais trois fois par semaine, au mieux, dans les 5m2 d’un parloir aux murs aseptisés, pendant 30 à 45 minutes. Marine ajoute : « dès qu’on se colle un peu, le surveillant toque à la porte ».
La jalousie trouble aussi la relation. En déposant ses affaires dans un des casiers prévus pour les visiteurs, Marine raconte : « J’ai coupé tous mes réseaux sociaux », suite à une injonction de son compagnon. Elle comprend, quoiqu’un peu gênée : « à l’intérieur il s’inquiète. La fidélité, tout ça. Je ferais pareil ». La jeune femme se dépêche, pressée de retrouver « son homme », comme elle l’appelle. L’attitude trahit le stress et l’impatience. Direction les solides portes d’entrée, qui claquent et reclaquent dans un bruit strident, et avalent chaque jour des femmes comme elle. Le haut-parleur crache une voix métallique : « appel parloir », synonyme de retrouvailles.
Le coût de la peine
Si les histoires de couples brisés par la détention se racontent avec pudeur, les plaintes qui émanent des portefeuilles vides sont plus faciles à exprimer. L’argent, le manque d’argent, les problèmes d’argent. Le mot est de toutes les discussions. Faire le chemin jusqu’à la prison n’est pas simple. Sur le parking boueux réservé aux visiteurs, Elisa se maquille dans le rétroviseur de sa voiture. La jeune femme aux allures d’adolescente confie, entre deux coups de mascara : « je viens moins fréquemment qu’avant ». La faute à un budget trop serré : « J’habite à 40 minutes de Bordeaux, alors entre l’essence et les péages, c’est difficile ». Et puis, les détenus doivent cantiner. Un coût souvent assumé par leurs femmes. Car pour cantiner, il faut avoir de l’argent. Pour acheter nourriture, tabac et produits d’hygiène. Pour Marine, la prison, c’est « le budget n°1 ». Elle calcule, appuyée contre le béton défraîchi d’un mur d’enceinte : « je lui envoie entre 150 et 200 euros par mois ». Une telle somme est nécessaire. « Les plaques de cuisson : 70 euros ; 14 euros par semaine pour la télé ; entre 10 et 20 euros le paquet de clopes », Marine décline les tarifs un à un. Comme si elle vivait, elle aussi, à l’intérieur de cette prison. Une vie précaire dans et hors les murs.
La dureté carcérale
Jour de sortie pour Samir. Le grand gaillard à la barbe fraîchement taillée, pose devant les portes de la prison. Il est libre, après quatre mois d’enfermement. Le jeune homme attend sa famille, le temps pour lui de raconter ses mois passés à l’ombre. La maison d’arrêt pour hommes de Gradignan compte environ 560 détenus pour une capacité d’accueil de 328 places, soit une densité carcérale de 171,95%. Ici, comme dans la plupart des autres prisons françaises, la surpopulation est un fléau. « Sans nos proches, on deviendrait fou » affirme Samir. Les parloirs sont une parenthèse dans la vie du détenu. Pour les condamnés, trois visites hebdomadaires sont autorisées tandis que les prévenus n’en ont droit qu’à deux. Plusieurs options sont disponibles pour réserver ces précieux rendez-vous.
Le sac de nœuds des rendez-vous
D’abord, il y a la borne automatique. C’est la seule mise en place par l’administration pénitentiaire, pour toute la prison. Elle est parfois défectueuse. Les familles peuvent aussi prendre des rendez-vous par téléphone. Elisa s’exaspère : « personne ne réussit à les avoir, quand on appelle, ils raccrochent ». En dernier recours, il faut demander à l’accueil de la prison. Problème : les surveillants sont surchargés. Elisa se montre compréhensive : « ils ne veulent pas toujours s’occuper de ça. Ils ont d’autres choses à faire ». Une galère de plus pour les femmes de détenus. « La dernière fois, la borne ne marchait pas. J’ai essayé d’appeler de chez moi, ça ne marchait pas non plus. Alors j’ai fait un aller-retour ici sinon je n’aurais pas pu le voir aujourd’hui », peste une dernière fois Elisa.
D’ailleurs, une des discussions du jour concerne « la femme de Marseille ». Les commérages racontent comment un surveillant lui a refusé l’entrée. La cause : une mauvaise manipulation lors d’une prise de rendez-vous. La situation se serait envenimée, la femme argumentant qu’elle venait de loin. D’un hochement de tête un père de famille qui participe à la discussion désigne le surveillant en question. « C’est lui ». Il est posté à l’entrée du bâtiment. Même dehors, du bon côté de la prison, la tension est palpable.
Prisonnières malgré elles
« À mon premier parloir, j’ai fait un malaise » confie Marine. Le bâtiment impressionne par sa hauteur et son délabrement. « Dedans c’est encore pire ». Il faut passer des portiques, des portes, des verrous, des contrôles, des fouilles. Une progression lente, ponctuée de haltes dans des salles d’attente. Une marche rythmée par le bruit métallique et grinçant du verrouillage/déverrouillage automatique. Enfin, vient la salle du parloir. Une petite pièce impersonnelle, sale, « dégueulasse » même. « On se sent enfermé, comme eux, d’un coup », décrit Marine. Chaque fois la même appréhension. Et puis, il y a le regard des surveillants. « Ils vérifient toutes nos affaires, il y en a qui abusent », ajoute Elisa. Les femmes sont suspectées, assimilées à des complices. Certains gardiens se montrent autoritaires : « comme si nous aussi on était des délinquantes ». Elle nuance : « il y en a quand même des sympas ». Quoi qu’il en soit, les femmes de détenus sont les coupables d’un amour qui les mène chaque semaine en prison.
Une vie organisée autour de la prison
Alison est au chômage. Le père de son fils unique est incarcéré depuis quelques mois. À la va-vite, elle marque son nom et le numéro d’écrou qui l’accompagne sur un cabas rempli de linge. Elle se mêle ensuite à la procession de sacs Lidl, Leader Price ou Auchan qui se dirige vers l’entrée. L’intendance, c’est aussi pour ces femmes. Leur vie entière est conditionnée par les horaires de parloir. Travail, corvées, famille, enfants, loisirs : la prison aspire leur quotidien. Marine, elle, est salariée. Elle jongle avec ses horaires de travail : « je dois me mettre d’accord avec mon patron pour embaucher ou débaucher plus tôt ». Le moindre retard peut annuler la visite.
C’est le dernier parloir de la journée, les familles avancent dans le calme. La porte se referme une dernière fois. Une femme déboule en criant : « s’il vous plaît, je sors du travail ». Elle vient de louper son rendez-vous, pour trente secondes de retard. La règle, c’est la règle. Après un esclandre et quelques insultes, elle se résigne. En rebroussant chemin vers sa voiture, elle appelle sa mère pour s’indigner et éclate en sanglots.