Passée par le Théâtre National de Chaillot, la MC93 de Bobigny, mais aussi les villes de Marseille et de Cannes, Claire Andries a pris, il y a seulement deux semaines, les rênes des affaires culturelles de Bordeaux. Elle remplace Brigitte Proucelle à ce poste. Démarchée par la municipalité bordelaise, elle entend fédérer les institutions culturelles déjà en place et les nouveaux pôles émergents de la capitale girondine. Défaire la culture de son image élitiste, telle est sa devise.
Quelle mission vous a été confiée à Bordeaux ?
Elle repose sur deux axes. Le premier, son histoire. Je connaissais la ville au début des années 90. Elle était très sombre, assez fermée. Il y a eu un énorme travail de rénovation et de valorisation du patrimoine. C’est quand même la ville où il y a le plus de bâtiments classés après Paris. On en compte pas moins de 347 au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le rapport à l’histoire est très fort à Bordeaux. Il suffit de marcher dans les rues de Bordeaux pour s’en rendre compte.
Le second, sa culture émergente. La vie culturelle contemporaine est extrêmement forte à Bordeaux et se traduit par une présence de toutes les disciplines artistiques et esthétiques. Il y a un centre d’art contemporain (le CAPC), un réseau dense de galeries d’art. On a une scène musicale rock, dans la lignée de Noir Désir, qui vit à travers la Rock School Barbey et d’autres petits lieux notamment. L’idée est donc de lier l’histoire très ancrée de la ville à toute cette culture émergente et de voir comment accompagner les artistes et les diffuser au public. La question du public est essentielle.
À ce sujet, quel public souhaiteriez-vous toucher ?
C’est une question récurrente dans le domaine culturel. Il y a souvent eu des chapelles qui se sont formées : tel public pour telle pratique culturelle. Moi je crois plutôt qu’il y’a DES publics. Les gens sont capables d’aller voir de l’opéra, de l’art contemporain et en même temps participer à une manifestation populaire dans l’espace public.
Notre travail est de voir comment on arrive à donner aux habitants, ou aux visiteurs, accès à tout ce que l’on propose. On est en train de réfléchir à comment on peut faciliter l’accès à toutes ces pratiques culturelles. Je ne considère pas la culture comme quelque chose d’élitiste, je suis convaincue que la culture peut toucher tous les publics. Pour moi, la culture est à entendre dans un sens extrêmement large et ne doit pas se résoudre à quelques happy-few.
Quels sont vos projets pour la ville de Bordeaux ?
Je n’arrive pas avec une idée préconçue de ce qu’est la culture à Bordeaux. Le secteur culturel à Bordeaux est de plus en plus vivant. Il y a de plus en plus de structures qui viennent s’y installer : des maisons d’édition, des associations liées à la bande-dessinée, des producteurs de cinéma (comme en témoigne la création récente du FIFIB). Ma mission est de rendre plus visible ce bouillonnement culturel.
On est en train de travailler sur une programmation partagée avec différents opérateurs du secteur culturel. On souhaite créer un grand projet collectif, un grand évènement qui puisse avoir une dimension culturelle partagée.
Ce projet n’est pas sans rappeler le festival Sigma, qui a longtemps fait la gloire de Bordeaux, non ?
C’est un festival qui a vraiment marqué les esprits. C’est presque un point historique de la culture bordelaise tant il a permis l’émergence de nombreux artistes. Ce qu’il faut savoir c’est qu’il y a des cycles en matière de politique culturelle. Aujourd’hui, ce n’est pas du tout le même contexte.
Par exemple, il y a une montée en puissance des arts numériques, de manière colossale. Il y a aussi un rapport à l’espace public qui est à redéfinir et qui concerne tous les champs de la culture. On ne peut pas dupliquer les choses qui ont été faites dans le passé et les reproduire aujourd’hui. Elles ont eu leur place et leur légitimité absolue au moment où elles ont été faites. L’équilibre subtil est d’écouter le territoire et l’instant T. Cela ne peut s’entendre que dans une logique pluridimensionnelle, ce à quoi s’attardent beaucoup d’artistes aujourd’hui.
Vous avez des exemples en tête ?
Je pense à Vincent Macaigne, par exemple. J’ai produit son premier spectacle à Chaillot. Il est à la fois acteur, metteur en scène, auteur et fait intervenir le son, mais aussi l’image et le chant. Son rapport à la littérature est très fort.
Il existe aussi beaucoup de collectifs, comme la compagnie des Chiens de Navarre. La notion même de collectif suppose la dimension pluridimensionnelle. Le point culminant c’est que ces gens proposent des choses qui sortent de la contrainte de la scène, en terme d’espace. Le rapport à la scène, au sens stricte, évolue et peut se déplacer à l’extérieur, hors du théâtre, dans des lieux atypiques.
J’ai découvert qu’il y avait beaucoup de street-artistes à Bordeaux et de véritables petits « laboratoires » culturels, comme la Fabrique Pola ou Darwin. Mon but est de les valoriser, notamment à travers des balades urbaines artistiques.
Votre objectif est-il de faire de Bordeaux la prochaine capitale européenne de la culture?
C’est déjà une capitale européenne mondiale. Après il existe des labels, comme celui que Marseille a obtenu en 2013. On n’a pas besoin d’obtenir ce label pour faire de Bordeaux une capitale européenne, elle a démontré qu’elle l’était déjà. Elle porte un nom qui est une marque. Dans le monde entier, on connaît déjà Bordeaux. C’est quelque chose de particulier et c’est une force, sur laquelle je compte m’appuyer.