On trouve le nom de Google dans les moindres recoins du Festival International de Pérouse. Difficile de ne pas céder aux sirènes du géant de l’Internet, tant ses milliards de données et ses outils révolutionnaires transforment le travail des journalistes. Quitte à laisser entrer le loup dans la bergerie, de conférence en conférence.
« Je fais un boulot auquel mes parents ne comprennent rien ». Le job de Simon Rogers consiste à décortiquer des bases de données colossales, les doigts sur le clavier, le nez dans les lignes de code et les tableurs. Pour les néophytes, son ordinateur, c’est Matrix. Un monde numérique et indigeste dans lequel Google se pose en sauveur. Alléluia !
« Google fait tout pour vous faciliter l’accès aux données » : la rock-star du datajournalisme arpente la scène du Festival International de Journalisme de Pérouse (Italie) et vante de sa voix forte et profonde les vertus de son nouvel employeur. Le message est clair : en 2018, pas besoin d’être un geek pour accoucher d’enquêtes menées à grand renfort de big-data.
Saviez-vous que les Italiens s’intéressent cinq fois plus au foot qu’à la politique, même en pleine période électorale ? Une infographie estampillée Google Trends s’affiche sur le tableau et déclenche l’hilarité de la salle à majorité italienne. Simon Rogers a bel et bien troqué sa casquette de journaliste au Guardian contre celle de responsable commercial : « nous sommes par exemple capables de voir comment les grands événements influencent les recherches des internautes ». Une mine d’or pour les journalistes qui souhaitent étudier la manière avec laquelle les infos circulent sur la planète.
Une fois ces données brutes collectées, vient le temps du nettoyage. Ça tombe bien, Google a justement mis au point Open Refine, outil « very powerful » grâce auquel les médias peuvent débroussailler des centaines de milliers de lignes de données en quelques clics. L’orateur rappelle l’arrivée imminente de la version 3.0 du logiciel, un peu comme on annoncerait le nouvel opus d’une saga hollywoodienne à succès.
Données récoltées, données nettoyées, et pour travailler dessus ? Pas de problème, direction Google Spreadsheet. Le tableur prend peu à peu la place du classique Excel dans le coeur des journalistes du monde entier, désormais capables d’éditer leurs données en ligne, seuls ou à plusieurs … et de se déposséder des résultats en les stockant dans le Cloud. Google est partout, simplifie tout. Et pour justifier ces efforts colossaux (et coûteux), les éléments de langage ne manquent pas : Google « reconnaît la responsabilité » que représentent ces « milliards de données » qui « révèlent ce que nous sommes en tant que personnes ».
Philanthrope intéressé
L’entreprise californienne se love avec aise dans ce costume de philanthrope de la news. Mais au-delà des éléments de langage sur l’information ouverte à tous, pourquoi le géant de l’Internet développe-t-il tant d’efforts pour s’immiscer dans le quotidien des rédactions ? Pourquoi son nom s’affiche-t-il sur tous les badges du Festival International de Journalisme ? Qu’y gagne-t-il, au fond ? Lorsqu’on lui pose la question au sortir de sa conférence, Simon Rogers hésite, ne sait pas vraiment sur quel pied danser. Le regard jusqu’alors bien planté fait désormais des allers-retours entre la moquette et le plafond. Le contraste est saisissant :
« Je crois que Google a besoin d’un écosystème sain pour survivre, ils veulent que les gens voient leurs données comme une manière de cerner de nouvelles histoires ». Et puis : « le business de cette entreprise est le business de l’information ». Les mots sont lâchés du bout des lèvres. Le « nous » devient un « ils », l’ancien journaliste reprend le dessus et met ses distances avec son nouvel employeur californien.
Car pour le géant du web, l’information est avant tout une affaire de gros sous ; un marché tentaculaire générateur de pub. Avec Facebook, Google accapare 84% des revenus publicitaires du web mondial. Publicité en ligne qui, rien qu’en France, représentait l’année dernière un colossal marché de quatre milliards d’euros, devant la télévision (3,2 milliards) et la presse (2 milliards).
Pas étonnant que les observateurs préfèrent désormais désigner Google comme la première agence de pub mondiale. On est bien loin du simple moteur de recherches des débuts, fonction qui lui ouvre aujourd’hui les portes des données personnelles du monde entier. Une intarissable mine d’or pour les journalistes. Ou une boîte de Pandore.