Clément Pouré, jeune journaliste diplômé de l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine en 2017, sera présent à la grève du jeudi 5 décembre mais aussi à la manifestation de pigistes du 7 décembre à Paris. Nous l’avons rencontré pour comprendre pourquoi les pigistes sont particulièrement impactés par la réforme des retraites.
En quoi ça consiste d’être gréviste quand on est pigiste ?
Il est compliqué de faire grève quand on est pigiste. C’est une question qu’on se pose régulièrement entre nous, mais aussi avec les collectifs. Difficile de s’absenter de son bureau une journée, quand le principe même de la pige c’est de n’avoir ni lieu ni temps de travail défini.
Pour manifester demain, j’ai dû m’organiser en amont afin de ne pas avoir de papiers à rendre. Je suis un peu un journaliste équilibriste. J’ai travaillé davantage en début de semaine. Le temps de travail est assez flexible quand tu es pigiste. Je vais donc pouvoir participer à la manifestation, en tant que gréviste, mais toujours avec un oeil de journaliste. C’est aussi un moyen de trouver des sujets, de se faire des contacts…
Pourquoi allez-vous manifester demain ?
Le plus inquiétant dans cette réforme des retraites, selon moi, c’est le calcul des indemnités sur toute la carrière plutôt que sur les vingt-cinq meilleures années. Pour les journalistes pigistes, cela pose un problème majeur. Nous sommes davantage soumis aux contrats précaires et donc potentiellement à plus de ruptures.
Économiquement ce n’est pas simple. Les rédactions ne payent pas assez les journalistes pigistes. Les tarifs au feuillet n’ont pas augmenté depuis 20 ans. Alors que le Smic est revalorisé en fonction de l’inflation, ce n’est pas le cas pour la pige.
D’autant plus qu’en fonction des rédactions, nous n’avons pas accès aux mêmes droits. La plupart du temps, nos déplacements sont à nos frais. Les rédactions ne prennent pas en compte tout le travail invisible qui est réalisé dans la recherche de sujets à proposer. Les journalistes sont précarisés alors que le travail d’information est nécessaire. Mais il n’y a pas que les retraites qui impactent la qualité de l’information publique.
Quoi d’autre ?
Un sujet qui nous concerne tous c’est le chômage. C’est une lutte concrète pour l’ensemble des pigistes. L’enjeu c’est de pouvoir travailler. Le chômage c’est un droit pour lequel on cotise. Il nous permet d’avoir une garantie quand nos piges ne sont pas assez élevées. Avec le nouveau système tout est remis en cause.
Aujourd’hui, j’ai la chance de m’en sortir grâce à mon réseau qui s’est agrandi. Mais c’était difficile quand j’ai commencé. Heureusement que je touchais le chômage les mois difficiles et que mes parents étaient derrière moi. Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde.
Il n’y a pas eu de mobilisation de pigistes depuis longtemps. Samedi 7 décembre, ce sont les pigistes, les associations, et les syndicats qui vont manifester. Ce n’est pas un acte isolé. Nous espérons que la manifestation continue jusqu’au retrait de la réforme sur le chômage. Mais ce n’est pas un combat que nous entendons mener seul. Nous avons besoin de structures syndicales pour fédérer tout le monde. Nous ne sommes que 7000 journalistes pigistes sur plus de 3 millions d’allocataires.
Quel avenir pour la pige face à ces réformes ?
Si les réformes aboutissent, certains pigistes risquent d’arrêter petit à petit. Elles accentuent la précarisation générale. La réforme des retraites c’est un peu la réforme de trop. Evidemment qu’il est toujours possible de travailler à la pige. Le risque est que seuls les plus stables financièrement continuent d’exercer. Ou alors ceux qui peuvent y consacrer énormément de temps. Mais se tuer la santé ne devrait pas être une condition pour vivre de la pige. Travailler 50 ou 60 heures par semaine pour gagner 1500 à 2000 euros ce n’est pas une vie. D’autant plus que la pression et l’absence de stabilité viennent s’ajouter aux difficultés déjà propres au journalisme.
Pourtant, la pige c’est un modèle qui me plait. Il y a beaucoup d’avantages. Je n’écris des articles que sur des sujets qui m’intéressent. J’ai 25 ans et je peux déjà faire du grand reportage, de l’investigation, et même écrire un livre… D’un point de vue organisationnel, une fois qu’on s’est adapté au fonctionnement de la pige, c’est une forme de liberté matérielle.
Mais sans mobilisation, il risque d’y avoir une fracture au sein des pigistes. Resteront ceux qui ont le plus de moyens et d’expériences. Mais tout le monde n’a pas autant de moyens et de réseau. Pour lutter, il est important que les pigistes s’organisent en collectif. C’est une vraie solution et une tendance qui doit se développer. Pour nos droits, travailler ensemble, mutualiser nos réseaux, nos moyens, nos compétences, nos projets…
Propos recueillis par Alexandre Keirle.