Sous les ordres de Vladimir Poutine, l’armée russe a envahi l’Ukraine dans la nuit du 23 au 24 février. En représailles, l’Union européenne interdit la diffusion de Russia Today sur le territoire européen. Julian Colling, journaliste pigiste basé à Moscou depuis quatre ans, raconte l’intensification, depuis 2019, de l’hostilité envers la pluralité de la presse en Russie.
L’invasion russe en Ukraine a-t-elle eu des répercussions sur l’exercice de votre métier ?
J’étais en France depuis neuf jours, je ne résidais pas en Russie quand l’Ukraine a été attaquée. Je suis rentrée hier, c’est donc un peu tôt pour sentir une différence. La différence notable que j’ai remarquée en revanche, c’est à l’aéroport. J’ai répondu à un interrogatoire du garde-frontière ce matin, ce qui ne m’était jamais arrivé avant. Même s’il est donc trop tôt pour ressentir un changement dans l’exercice du journalisme, il existe un climat général tendu pour les médias étrangers mais aussi les médias russes indépendants, avant même le début du conflit en novembre dernier. C’est le cas depuis deux ans. Les chaînes de télévision, de radio et les sites web de la presse indépendante sont presque tous bloqués ou accessibles uniquement avec un VPN. Les équipes ont été décimées par des arrestations et des amendes, elles ont été forcées à fuir le pays. Disons que Vladimir Poutine n’a jamais été un ami de la pluralité de la presse mais nous sentons un durcissement réel depuis deux ans et demi vis-à-vis des médias indépendants russes, mais aussi des activités politiques et des associations.
Connaissez-vous des journalistes qui ont subi cette répression russe ?
Je connais deux collègues qui ont dû récemment quitter la Russie en raison d’un non-renouvellement du visa de travail par le ministère des affaires étrangères. C’est symbolique d’un climat méfiant envers l’indépendance de la presse, qui est assez palpable depuis six mois. Cet automne, Sara Rainsford, journaliste pour la BBC, a été bannie à vie du territoire russe. Nous n’avions jamais vu cela avant. Dans la foulée, un correspondant du journal néerlandais De Wolkskrant a été poussé à partir. Je pense que la guerre en Ukraine va aggraver cette situation.
Comment voyez-vous votre avenir en Russie ?
Mon visa de travail expire dans trois semaines. Je suis en attente de savoir si les autorités russes vont le prolonger ou pas. Je vais peut-être aussi devoir quitter le pays. La décision leur revient entièrement. J’ai l’impression que la volonté des autorités russes est de limiter le plus possible la présence des journalistes indépendants en Russie, un peu comme ce qui se fait en Chine. Il n’est pas à exclure que les correspondants des grands médias occidentaux soient attaqués dans les prochaines semaines. L’interdiction de la diffusion de Russia Today dans l’Union européenne ne va pas jouer en notre faveur. Le gouvernement russe prend souvent des mesures en miroir avec ce qui se passe en Europe, il va donc certainement fermer de nombreux médias étrangers ici, en utilisant la force. Il est tout à fait envisageable que les bureaux de presse soient vidés par la police et que les journalistes soient forcés à quitter le pays. C’est ce qui est arrivé il y a un mois à Deutsche Welle, la radio internationale allemande. Leurs bureaux ont été simplement détruits. La correspondante française de France 24 en Russie est aussi inquiète pour la survie du bureau de la chaîne de télévision à Moscou. Ce n’est pas sûr non plus que les bureaux du Monde, du Figaro, de Radio France resteront ouverts dans les prochaines semaines.
Margot Favier