Alors que le projet de loi asile et immigration entre en débat à l’Assemblée nationale ce mardi, les controverses pleuvent autour du projet de création d’un titre de séjour « métier en tension ». Si la majorité y voit une issue favorable pour les secteurs tendus, la droite dénonce une régularisation massive de sans-papiers pesant sur les dépenses publiques et le marché de l’emploi. Pour Anthony Edo et Grégory Verdugo, économistes de l’immigration, les flux migratoires n’ont pas ou peu d’impact sur les finances françaises et ce projet de loi n’offre pas de réelle solution pour les secteurs en tension.
Les chiffres de l’immigration sont régulièrement brandis par les politiques « de manière déformée à des fins politiques » estime Anthony Edo, économiste au CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales) qui rappelle à quel point ces données sont complexes à analyser. Les études montrent de manière incontestable que la France est « dans la fourchette basse » européenne concernant son taux d’immigré·es (10,3 % en 2021 selon l’INSEE, 12 % selon l’OCDE qui compte aussi les français·es rapatrié·es). Parmi eux, les titres étudiants sont les premiers délivrés. Arrivent ensuite ceux accordés pour des raisons familiales suivies de ceux qui concernent les réfugié·es. Les raisons économiques arrivent en dernière position avec seulement 13 % de titres délivrés aux nouveaux·lles entrant·es sur le territoire.
À l’équilibre
Sur le coût global de l’immigration, Anthony Edo rappelle que « L’OCDE a sorti un rapport en 2019 très important sur le sujet. Elle a analysé les flux migratoires dans plusieurs pays européens pour conclure que l’immigration n’a qu’une incidence très marginale sur les dépenses publiques […]. Globalement, on ne peut pas dire que l’immigration est un fardeau pour les finances de l’Etat ». Ce faible impact s’explique par la catégorie des arrivant·es, souvent en âge de travailler, comme le montrent les travaux du CEPII sur la question. Grégory Verdugo, économiste de l’immigration et chercheur à l’Observatoire français des conjonctures économiques, y voit même un moyen d’augmenter la part de population active, « un enjeu assez crucial, selon lui, dans un système de retraite par répartition comme le nôtre ». En 2018, 95 % de la population étrangère en France était âgée de 15 à 64 ans, donc active selon l’INSEE. Pour que cette population immigrée jeune puisse travailler, Anthony Edo et Grégory Verdugo s’accordent à dire que les politiques d’intégration doivent lui être favorables. D’ailleurs, leur présence sur le marché du travail est nécessaire : « sur les secteurs en tension comme le soin à domicile, le nettoyage ou la santé, l’apport de main d’œuvre immigrée est indispensable pour notre population vieillissante ».
Pour l’heure, la part d’immigré·es actif·ves reste dérisoire à l’échelle du marché de l’emploi. L’économiste du CEPII admet que « les 100 000 actifs étrangers arrivant sur le territoire par an ne représentent qu’une partie marginale du marché de l’emploi français [27,1 millions d’actifs en 2018 selon l’INSEE, ndrl]. On peut affirmer que le salaire moyen et l’emploi en France sont indépendants de l’immigration ».
D’autre part, les travailleurs et travailleuses étranger·es ne sont pas les concurrent·es direct·es des chômeur·euses déjà présent·es sur le territoire « notamment compte tenu de l’écart du niveau de qualification, plus faible en moyenne chez les populations immigrées » selon Grégory Verdugo.
Une mesure inefficace
La mesure visant à créer un titre de séjour « métier en tension » ne devrait pas changer la donne. Outre les flottements concernant sa mise en œuvre, les économistes restent dubitatifs concernant son effet sur le marché de l’emploi : « Sur le plan purement économique, les travailleurs sans papiers travaillant de manière irrégulière sont déjà sur le secteur de l’emploi. Je ne vois pas comment une telle mesure peut réellement bouleverser les choses », affirme Anthony Edo. Il n’en reste pas moins que leur régularisation des travailleur·euses sans-papiers reste souhaitable sur le plan humain afin de conserver une stabilité, une sécurité et une hausse de leur rémunération et de leurs conditions de travail.
Une stabilité manifestement courte, la durée de validité de ce titre (un an) est incompréhensible aux yeux de Grégory Verdugo : « Non seulement ça n’attirera pas les immigrés mais ce sera difficile pour eux d’avoir des perspectives d’avenir et d’investir en France ». Il y voit un titre de séjour saisonnier comparable à ceux délivrés en Australie pour les emplois agricoles.
Anthony Edo s’interroge sur la pertinence stratégique de ce plan censé pallier de manière urgente à un manque de main-d’œuvre : « si l’objectif était vraiment de pourvoir ces postes à court terme, il faudrait peut-être revaloriser les conditions d’emploi pour embaucher des personnes au chômage déjà présentes sur le territoire avant de mettre en place une telle politique migratoire ».
Zeina Kovacs @ZeinaKovacs
Dessin : Lucas Zaï–Gillot @LucZaigt