Ramu de Bellescize, maître de conférences HDR à l’Université de Rouen, considère que les modalités imposées par le gouvernement pour ce grand débat permettent à Emmanuel Macron de reprendre le contrôle de l’agenda politique.
Face à la crise profonde que traverse le pays depuis près de deux mois, l’exécutif se met-il en danger en organisant ce grand débat ?
Sur le plan politique, je dirais au contraire que c’est une bonne stratégie. L’organisation de ce grand débat permet à E.Macron de gagner du temps (ndr : jusqu’au 15 mars). L’exécutif reprend la main, en fixant ses règles et son calendrier. Il veut déborder et décourager la contestation en se lançant dans une course contre-la-montre, largement en sa faveur.
Et sur le plan démocratique ? Nommer deux ministres à la tête du grand débat compromet-il son indépendance ?
Personne n’est dupe. Il n’y a aucune richesse démocratique la-dedans. Le fait que deux ministres pilotent l’organisation n’y change pas grand chose. Dans tout les cas, le gouvernement choisira seulement les propositions qui lui seront favorables.
Dans sa lettre, Emmanuel Macron n’a pas explicitement invité les gilets jaunes à participer aux débats. Quel stratégie est la plus risquée pour eux ? Accepter ou boycotter le débat ?
Encore une fois, sur le plan politique, c’est assez malin. Avec ce grand débat, E.Macron prend les gilets jaunes à leur propre piège. S’ils participent, ce serait un aveu d’échec car ils rentreraient de facto dans le jeu du gouvernement. Et au contraire, si les gilets jaunes refusent cette « main tendue » par le Président, ils seront également décrédibilisés. Dans les deux cas, Emmanuel Macron en sortira gagnant.
C’est la première fois depuis la Révolution Française qu’un tel dispositif est mis en place. Trop verticale, trop centralisée, La Vème République est-elle à son crépuscule ?
Oui, c’est possible. Mais, vous savez, depuis sa création, la Vème République a traversé plusieurs crises graves. Dès 1962, De Gaulle avait été fortement critiqué lorsqu’il avait fait valider sa réforme constitutionnelle par référendum, procédé jugé par beaucoup anti-constitutionnel. Il avait même fait l’objet d’une tentative d’assassinat (ndr : lors de l’attentat du « petit clamart »). La fin du deuxième septennat du président Mitterrand a également connu des tremblements avec, rappelons-le, deux suicides : celui d’un de ses ministres suivi peu de temps après par celui de l’un de ses proches conseiller (ndr : Pierre Bérégovoy le 1er mai 1993 et François de Grossouvre le 7 avril 1994).
Mais la crise de la représentativité est, elle, bien profonde ?
Aucun modèle politique n’est parfait. Le modèle de la démocratie représentative a toujours fait l’objet de contestations, et ce dès sa création. Dans son Contrat Social, Rousseau déjà, dépeignait ce modèle comme anti-démocratique. Mais effectivement, aujourd’hui plus personne ne croit dans les parlementaires.
Brexit, Amérique de Trump, Italie, je pense que si épuisement il y a, c’est celui du modèle des démocraties libérales globalisées qui n’est pas propre à la France. Mais je n’y crois pas forcément.
La lettre adressée aux Français par E.Macron ainsi que Les cahiers de doléance font directement référence à la figure du Roi. N’est-t-il pas en train de jeter de l’huile sur le feu ?
Je ne sais pas si c’est une erreur ou bien de l’ironie de sa part. En utilisant l’expression « cahier de doléance », il s’oblige d’une certaine manière à respecter les doléances, sinon il sait ce qui l’attend (ndr : l’échafaud, comme Louis XVI).
Plus sérieusement, je pense que c’est voulu. De cette manière, il réaffirme son autorité : c’est lui qui commande. Je trouve cela relativement habile même si cette stratégie ne va en rien améliorer son image de monarque républicain.
Propos recueillis par Matthieu Fontaine