1500 nouvelles trottinettes, vélos et scooters en libre service débarquent à Bordeaux. L’agglomération a fait le choix de six entreprises qui sont les seules à pouvoir mettre à disposition des véhicules en « free floating ». Entre inquiétude de certaines mairies sur la co-modalité et concurrence entre public et privé : on fait le point.
Depuis la rentrée scolaire, impossible de trouver des vélos Lime ou des trottinettes Bolt ou encore des Cityscoot à Bordeaux. Leur contrat avec Bordeaux n’a pas été renouvelé par la métropole qui a désigné en septembre les lauréats d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) définissant un nouveau cadre de réglementation des services de véhicule en « free floating » au sein de l’agglomération. Désormais seuls six opérateurs sont autorisés à laisser leurs vélos, trottinettes et scooters en libre accès sur une période d’un an renouvelable deux fois. Bird, Pony,Dott, Tier, Yego et eDog, déploient depuis le 1er novembre 3500 engins dans les rues des 24 communes concernées par l’AMI. Le double du nombre de véhicules déjà présents dans la capitale girondine.
La crainte d’une nouvelle anarchie
Les premiers véhicules en « free floating » sont arrivés fin 2017 à Bordeaux, créant de nombreux conflits d’usages dans les rues. Les plaintes des riverains (notamment piétons) se sont multipliées, ces derniers critiquant vivement l’incivilité des usagers de trottinettes ou de vélos électriques. « À l’époque, il n’y avait pas de contrôle sur ces véhicules et ce en raison d’un vide juridique. C’était l’anarchie dans les rues, rappelle Isabelle Rami, conseillère métropolitaine à l’origine du projet d’AMI. Aujourd’hui notre objectif est double : assurer des mobilités douces et agiles à chacun et réguler le « free floating » pour éviter de se retrouver dans la même situation qu’auparavant« .
Mais comment assurer un contrôle plus élevé sachant qu’il aura deux fois plus de véhicules sur le macadam ? Pour la métropole c’est simple, chaque opérateur dispose de places de parking sur lesquelles les véhicules doivent être garés. « Si ce point essentiel du cahier des charges de l’AMI n’est pas respecté, les opérateurs seront sanctionnés. S’il y a un abus, on pourrait ne pas renouveler le contrat, assure la conseillère. Mais ils n’ont aucun intérêt à risquer de perdre une telle place sur le marché des mobilités bordelaises.«
Peut-on contrôler un AMI ?
Le contrôle de la métropole sur les opérateurs est toutefois limité. En ayant fait le choix d’un AMI et non d’un appel d’offre, l’agglomération n’a pas à financer les six lauréats mais ceci la prive d’un moyen de contrôle sur les opérateurs. Guillem Leroux, responsable des relations publiques de Pony, tient à rassurer sur la volonté de son entreprise à suivre les cahiers des charges fournis par la métropole : « Que la métropole ne nous finance pas ne veut pas dire que l’on fait ce qu’on veut, on travaille en bonne intelligence.«
Pour s’assurer que ses clients respectent bien les règles de stationnement, Pony a fait le choix d’une potentielle sanction. « Si les usagers ne respectent pas la règle du jeu, ils pourront être pénalisés à la fin de leur trajet, mais ce sont les seuls cas dans lesquels le client sera pénalisé. »
Si Bordeaux Métropole défend sa capacité à réguler les flux, des doutes subsistent, notamment au sein des mairies. Quatre municipalités ont décidé de ne pas autoriser les opérateurs à s’implanter dans leur ville : Blanquefort, Martignas-sur-Jalle et Saint-Vincent-de-Paul et Talence. « Après les confinements, on recevait en moyenne trois appels par jour pour nous demander de venir récupérer un vélo ou une trottinette garée sur un trottoir, sauf que les opérateurs ne viennent pas les récupérer« , explique l’attachée de presse de la mairie de Talence. À cela s’ajoute le manque de places de parking pour garer les véhicules en libre service alors que la situation à Talence est tendue sur ce point : « l n’y a pas de places de stationnement qui peuvent être créées à Talence sans en enlever directement aux voitures. Dans un environnement déjà difficile pour les automobilistes, il n’est pas question de les pénaliser encore.«
Le cabinet du maire Emmanuel Sallaberry déplore également une privatisation d’un mode de transport pour lequel il existe une alternative publique : « Il y a déjà le Vcub ou le tram. Des stations se trouvent partout dans la ville et sont rapidement accessibles. Il est dommage de favoriser le privé alors que le service public propose d’excellentes alternatives.«
Vcub vs « free floating » ?
Plus de « free floating » dans la métropole pourrait signifier plus de concurrence entre les bicyclettes privées et publiques. Mireille Bouleau, urbaniste et et spécialiste de l’économètrie chez A’Urba, a relevé dans un rapport paru en avril 2022 que le nombre d’emprunts de Vcub est en baisse depuis 2018.
L’apparition des services de « free floating », plus attractifs et qualitatifs pour les usagers que les Vcub, peut expliquer cette baisse d’emprunt. L’urbaniste précise que la baisse d’emprunts annuelle moyenne de Vcub observée entre 2017 et 2020 semble correspondre en partie aux trajets réalisés en « free floating » sur un an. Elle en a conclu que les utilisateurs de Vcub se sont reportés sur les vélos en libre service. Un tel constat explique des réactions comme celle d’Emmanuel Sallabery qui, dans une interview accordée à actuBordeaux , déclare regretter « l’abandon des vélos Vcub, pour lesquels on comprend que le nombre de stations va être drastiquement réduit« .
Pour autant, fin octobre 2022, l’agglomération a renouvelé son contrat avec le concessionnaire Kéolis, partenaire historique de la métropole. Un engagement à hauteur de 2,2 milliards d’euros sur la période 2023-2030 dont le but est d’enrichir le réseau des mobilités de Bordeaux Métropole. Si ce plan se concentre sur les nouvelles lignes de bus express, l’optimisation du tramway, le Vcub n’est pas en reste. 2000 vélos supplémentaires doivent être mis en circulation d’ici à 2024 et 50 nouvelles stations doivent être installées, surtout dans les communes périphériques de Bordeaux.
Pour Mireille Bouleau, la récente signature de ce contrat avec Keolis montre bien que Bordeaux Métropole ne cherche pas à déléguer ses compétences. « Ce qui importe c’est que les habitants privilégient les mobilités douces et prennent moins la voiture , rappelle l’urbaniste. Plutôt que de parler de concurrence, je parlerais d’une volonté de compléter l’offre Vcub par du « free floating ».«
Lucas Zaï–Gillot (@LucZaigt)