Salariés, habitants, élus locaux…ils étaient plus de mille à défiler dans les rues de Bordeaux vendredi 9 mars. Tous venaient de Blanquefort pour se faire entendre auprès de Ford Europe, qui abandonnera son usine girondine en 2019. Plus de 900 emplois sont en jeu.
« On veut du boulot, pas du baratin ! » Les chants syndicalistes résonnent cours de l’Intendance, à Bordeaux, au milieu des fumigènes. Les quelques passants aux abords des boutiques de luxe tentent tant bien que mal d’éviter les pétards lancés par la foule de manifestants. Salariés de l’usine Ford, habitants, élus locaux…tous se sont déplacés depuis Blanquefort pour faire entendre leur désemparement face aux annonces récentes de l’entreprise, qui a affirmé vouloir stopper toute activité sur le site dès 2019. Un repreneur, les Blanquefortais n’en veulent pas. « Ça veut tout et rien dire », indiquent-ils entre deux sirènes. Le cortège se dirige bruyamment vers la préfecture de Bordeaux, où a lieu en même temps un comité de suivi pour décider de l’avenir de ces 900 emplois.
« Je ne suis pas désespéré, je suis même plutôt optimiste. Le seul problème, c’est que nous, à notre niveau, je ne sais pas trop comment on va pouvoir inverser la situation. C’est notre devenir qui est en jeu.» Stéphane a 46 ans et travaille chez Ford depuis 20 ans. Son gilet orange fluo trahit son appartenance à la CFDT. « On est vraiment solidaires et c’est par cet effet de groupe qu’on va montrer aux pouvoirs publics que nous, quelle que soit la décision, on veut du travail ! Ils nous représentent, c’est à eux de taper du poing sur la table et de leur foutre la pression », s’emporte le syndicaliste.
https://soundcloud.com/user-347812366/stephane-46-ans-on-sest-fait-balader
Mais tous ne sont pas aussi optimistes que Stéphane. Alain a été syndicaliste de l’usine Ford de Blanquefort pendant 35 ans. Aujourd’hui à la retraite, il est présent en tant que soutien de la candidature d’Emmanuel Maurel au poste de premier secrétaire du Parti socialiste, comme l’indiquent les multiples pin’s épinglés à son T-shirt aux couleurs de Ford. « Je ne me fais pas trop d’illusions par rapport à cette réunion. Ça bougera pas comme ça, même si c’est magnifique que tous les syndicats soient impliqués d’une même voix », indique celui « qui connaît presque tout le monde » et que tout le monde connaît. Il regrette quand même une réaction un peu tardive de la part des salariés. « On aurait dû être tous ensemble, comme aujourd’hui, depuis longtemps. Il ne faut pas attendre les derniers moments, quand tout va vraiment mal, pour bouger les choses. »
« On a l’impression de refaire la boucle, 10 ans après »
Mais ce n’est pas la première fois que les salariés de Blanquefort sont confrontés à une telle situation. En 2008 déjà, Ford avait tenté de refourguer l’usine à un repreneur allemand, HZ Holding. La mobilisation massive avait fait reculer la multinationale. « Ford a déjà voulu nous vendre pour un euro symbolique en essayant de se débarrasser de la fermeture du site », se souvient Sylvain, 52 ans, à Ford Blanquefort depuis 18 ans. « On revit exactement la même chose. Du coup, on est déjà échaudés, on est prêts à se battre à nouveau pour nos droits. Le problème, c’est qu’on a tous 10 ans de plus, on nous considère déjà comme des séniors. » Sylvain est coupé par le son strident du mégaphone en tête de cortège, qui résonne en continu depuis le début de la déambulation.
Stéphane allume un énième pétard. Son explosion au milieu du trottoir effraie une vieille dame et son chien. « Bien sûr qu’ils ont presque réussi à nous couler en 2008, ça a été un terrible fiasco ! Heureusement que nous, ouvriers, on s’est réunis, on a changé la donne et on a fait revenir Ford. » Un exploit encore réalisable aujourd’hui ? Pas si sûr, selon le syndicaliste. « Ce n’est pas du tout la même situation. Le contexte financier a totalement changé, surtout dans le secteur automobile. Mais je suis certain qu’ils ont totalement les moyens de nous confier encore quelques projets. C’est la moindre des choses. Je sais que tout ce que j’ai, je le dois à l’usine. Mais Ford aussi me doit beaucoup de choses. »
https://soundcloud.com/user-347812366/ambiance-ford
Un soutien politique indéfectible
Alors que les manifestants occupent le terrain devant la préfecture, dans le quartier Mériadeck, à l’intérieur, c’est leur sort qui se joue. Les syndicalistes du site de Blanquefort, dont l’ancien candidat à l’élection présidentielle Philippe Poutou, mais aussi des élus locaux dont Alain Juppé, maire de Bordeaux et Alain Rousset, président de la Région, accompagnés de Jean-Pierre Floris, représentant du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, négocient pour la première fois avec les représentants de Ford Europe. Stéphane le sait, son avenir est entre leurs mains. « On se sent vraiment trahis par Ford, qui nous annonçait toujours plus de travail ces dernières années. Même les élus locaux ont été déçus suite à l’annonce de l’entreprise. Ils ont passé beaucoup de temps à nous défendre mais ils savent très bien que Ford ne compte pas dévoiler toutes ses intentions », continue-t-il, entouré de ses amis syndicalistes. « C’est pour ça que je pense que le mouvement va s’amplifier après le comité de suivi. On a la rage, on veut pas être jetés comme des malpropres, ce qui est normal. Vous imaginez un peu si l’entreprise dit aux élus « on se désengage à telle date, et puis après, débrouillez-vous » ? »
Sylvain remet son sac à dos. Même s’il ne compte pas baisser les bras après la décision de Ford, il ne voit pas comment sauver son emploi, malgré ce soutien politique. « Ford a annoncé à M. Le Maire que l’activité du site continuerait jusqu’en 2019 sauf qu’il n’y a rien d’écrit, donc on se pose la question : est-ce qu’ils ne vont pas fermer dès aujourd’hui ? » Il soupire. « On a le soutien de tous les partis politiques puisqu’apparemment, tout le monde en fait un cheval de bataille. Est-ce que ça va permettre de nous sauver ? Je ne sais pas… »
Crédits photo : Bastien Munch