Une séparation. Le titre du film d’Asghar Farhadi, qui s’affiche sur le visuel du 26e Festival international du film d’histoire de Pessac s’est avéré prophétique. Alors que l’évènement s’apprêtait à prendre ses quartiers au cinéma Jean Eustache fin novembre 2015, les organisateurs ont finalement dû se résoudre à baisser le rideau. 130 personnes viennent de perdre la vie dans les rues de Paris. Une séparation temporaire : quatre mois plus tard, le festival renaît de ses cendres. François Aymé, commissaire du festival et directeur du cinéma, rembobine le film d’un report qui a laissé des traces.
« La décision de ne pas faire le festival la semaine du 16 au 22, tel que c’était prévu, a été prise dès le samedi 14 au matin », confie t-il d’emblée. « Il y a eu des échanges dans la nuit, entre le préfet, le maire et le président du festival Alain Rousset. C’est apparu de manière assez claire qu’on ne pouvait pas faire le festival dans ce contexte». Car l’ambiance post-attentats du 13 novembre, c’est avant tout la peur, l’inconnu, la crainte de subir d’autres attaques. Pas question pour l’équipe de prendre le moindre risque.
Un thème sensible
L’intitulé de cette édition, Un si Proche-Orient, attise davantage les inquiétudes. Choisi en 2014, il avait pour vocation d’ouvrir la réflexion et le débat sur ce vaste territoire et son histoire si riche. Jean-Noël Jeanneney, Président d’honneur du festival, expliquait alors: « Il n’est guère, sur notre planète, de territoires où se soit concentrée, au long des âges, (…) une telle intensité de passions et d’intérêts, de mythes et de religions, de générosités et de haines… Plus l’actualité est pesante (et rarement le fut-elle autant qu’à l’heure de Daesh et des djihadistes), plus s’imposent le recul des réflexions et la fécondation des émotions ».
« À ce moment-là, en 2014, il y a le permanent conflit israélo-palestinien, mais il y a aussi la guerre civile en Syrie, les tensions géopolitiques en Iran, le conflit larvé entre les Kurdes et les Turcs, vous avez les séquelles de la guerre en Irak et cette instabilité permanente,…Vous avez une somme de sujets très forts », renchérit François Aymé. « En fait, Daesh ça s’est développé de manière exponentielle, par la suite. Le thème a donc pris plus d’intensité après qu’on l’ait choisi».
Au-delà de la sécurité, l’heure n’est guère propice à la célébration. « On est dans une période de deuil, on se voyait mal…Pour un festival, il y a une forme de convivialité, une ambiance culturelle, chaleureuse. Ça aurait été en total décalage, il y aurait quelque chose d’indécent à faire le festival comme çà, deux jours après les attentats, cette dimension-là, morale, elle est très importante », clarifie François Aymé.
Le spectacle doit continuer
Alors que la France est encore sous le choc, il faut cependant avancer, mettre en place une alternative, prévoir « l’après ». Le directeur du cinéma se souvient : « Il y a eu une réunion du conseil d’administration le jeudi 19. On a décidé de maintenir la conférence avec Maurice Sartre, sur Le Proche-Orient, berceau des civilisations ». Ce soir-là, le conseil choisira également de proposer une formule raccourcie, concentrée, sur quatre jours au lieu de huit, fin mars 2016. Une annulation pure et simple ? Elle n’a jamais été envisagée. Alors qu’Alain Rousset déclarera à la conférence de Maurice Sartre que cela donnerait « le sentiment de donner raison aux barbares », François Aymé rajoute « Une annulation totale non. Par contre, sur la forme que ça pouvait prendre, là il y a eu des discussions dès le samedi. Finalement on a trouvé cet équilibre : faire plusieurs soirées pour un peu garder le lien ».
Trois soirées ont ainsi été programmées en février et en mars, afin d’entretenir l’intérêt du public. Elles ont permis de préparer, d’éclairer un peu le sujet. Une soirée sur l’Empire ottoman, avec François Georgeon, une sur les femmes dans le monde arabe avec Leyla Dakhli et une troisième consacrée à Alexandre le Grand avec Laurent Capdetrey. Des soirées qui ont eu un beau succès. « Si on ne les avait pas faites, ça aurait donné le sentiment d’un vide. Les gens étaient frustrés. Quand tout de suite vous donnez des dates, des rendez-vous aux gens, c’est une façon de ne pas laisser tomber. Les réactions sont encourageantes, on nous dit c’est bien, vous avez continué,… Ça montre que malgré les attentats, malgré la difficulté du sujet, ce dont on peut se réjouir c’est que nos partenaires et les intervenants ont reporté leur venue et puis, surtout, le public a suivi. Je crois qu’au final c’était la bonne décision », avance prudemment François Aymé, même s’il faudra attendre l’ouverture des portes le 31 mars pour avoir le fin mot de l’histoire.
Une formule qui conserve l’essentiel
Qui dit moins de jours, dit forcément moins de possibilités. La mouture 2.0 du festival a été allégée de trente films et d’une vingtaine de débats. L’intitulé, lui, choisi depuis novembre 2014, reste identique. « Dans le contexte de terrorisme, on avait notre mission civique de pédagogie, de redonner une perspective historique à une actualité très complexe », explique le commissaire du festival. Le report aurait-il cependant eu lieu si le sujet avait été différent? « Je ne sais pas trop… », reconnait François Aymé, « même si le thème n’avait eu aucun rapport avec cette actualité, il y aurait toujours eu la question morale ».
Alors que certains associent le Proche-Orient à la peur et au terrorisme, conserver ce choix serait donc une volonté de donner une autre image, de le faire découvrir sous un autre jour, via le cinéma ? « Une autre image je ne sais pas, mais en tout cas une image plus précise », assure François Aymé. « Je crois que l’image qu’on a du Proche-Orient est un peu confuse. Les cinémas de ces pays là sont des cinémas très riches, très tournés vers la réalité, avec une dimension réaliste très forte. C’est un cinéma qui parle du quotidien, de la liberté de la vie économique, des mœurs en général et donc c’est un médium extraordinaire pour montrer la vie de ces pays-là ».
Une volonté restée intacte après ces quatre mois d’attente, qui auront néanmoins eu un certain coût. Deux jours avant l’ouverture du festival, il a fallu décommander dans l’urgence les distributeurs de films, les membres des jurys, les 200 invités intervenants, les châteaux pour les soirées, les hôtels, les chauffeurs, le personnel d’accueil, les traiteurs, les voitures, les billets de transports et la trentaine d’employés qui devaient venir en renfort. François Aymé, en tant que commissaire général d’un festival au budget de 550.000 euros, avait alors confié au journal Sud-Ouest : « Beaucoup de dépenses étaient engagées et il faudra réembaucher une équipe pour organiser le festival à une autre date. Cela ne pourra pas être fait d’ici plusieurs mois, février ou mars. D’ici là, tout le travail ne sera pas perdu, mais beaucoup de choses devront être revues ». « Cette préparation a dû être faite deux fois », nous confirme-t-il aujourd’hui. Tous ont pourtant joué le jeu.
Il ne reste désormais plus qu’à espérer que le public en fera autant. L’an passé, le festival avait comptabilisé près de 40 000 entrées pour l’édition qui avait mis à l’honneur l’Allemagne. De quoi rester optimiste.