« Le 16 mars, nous mourrons ou nous vivrons », avait averti la direction de l’Institut Régional d’Expressions Musicales et du Bootleg. La cour d’appel de Bordeaux a rendu son verdict. Le Bootleg est mort, après une épuisante lutte judiciaire qui l’opposait au propriétaire des lieux depuis 2013.
La décision est difficile pour le directeur Cyril Beros et l’ensemble de son équipe, qui comptent profiter jusqu’au bout de leur salle de concert, désormais ouverte tous les soirs.
Un lieu ouvert à tous
Figure de résistance de la musique alternative bordelaise, le Bootleg ferme, et emporte avec lui quatre années de souvenirs. 600 soirées électroniques et 400 concerts, durant lesquels nombreux artistes locaux s’y sont produits.
Ouverte en 2013 dans le centre-ville, la salle de concert troquait les opéras contre les garage-bands et privilégiait les musiques aux allures un peu clandestines. Un éclectisme qui est devenu rare et précieux.
Fort de sa popularité, ce lieu associatif rue Lacornée a reçu au moins 80 000 adhérents, qui venaient aux concerts ou à la programmation club. « Je n’y allais pas nécessairement en connaissant les artistes qui s’y produisaient mais j’allais y rechercher une musique alternative, une performance créative. C’était une forme de doux militantisme en faveur de la création culturelle » explique Kevin, habitué des lieux.
Le Bootleg, dont le nom est associé à la période de prohibition des années 1920 aux États-Unis, est devenu en quatre ans une référence de la culture alternative et populaire. Une coopérative, qui ouvrait ses portes à tous. « L’équipe t’accompagnait tant que t’avais un beau projet et l’envie de bosser » raconte Quentin, musicien bordelais. Lui et son groupe Moonshine Fish, ont établi en février une semaine de résidence au Bootleg, pour préparer leur concert. Quentin fait depuis quinze ans de la musique à Bordeaux « Le Bootleg est un lieu rare. Un autre dans le centre-ville qui ferme. On a l’impression qu’on ne peut plus faire de la musique vivante, se lâcher. » Avec l’association Arts Contre Courants, il finalisait récemment un projet de commémoration de la fin de l’esclavage, une semaine d’événements qui devait se dérouler dans la salle de concert. « C’est un lieu unique, un lieu de culture, d’économie, de sociabilité, de dynamique sociale » finit Quentin avec émotion.
Pour écouter de la musique alternative, il faut se déplacer, au Krakatoa (Merignac) ou au Rocher de Palmer (Cenon). On a l’impression que le centre-ville doit être un grand musée
Une relève assurée
Le Bootleg ferme mais les acteurs culturels qui y ont pris part, ne baissent pas les bras « ce sont des jeunes, motivés, qui ne savent faire que ça: monter des lieux de cultures, monter de la dynamique économique et sociale » explique le collectif bordelais Allez Les Filles! Pionnier sur Bordeaux, il y organise des concerts et des événements depuis 20 ans. Il a eu le temps de voir les salles s’ouvrir et se fermer « il y aura quelque chose après c’est sûr. Ça se passe toujours comme ça ! Mais au Bootleg, ça s’est toujours bien passé, les choses étaient simples » explique Mathieu du collectif, tout en relevant « on parle déjà de la salle au passé ». Fort de son festival d’été Relache, le collectif organisait durant l’année ses dates salles au Bootleg « On ne sait plus où l’on va organiser nos soirées désormais. A Bordeaux, les salles de concert ont une programmation bien spécifique. Au Bootleg, on pouvait y jouer de tout ».
Ce soir et tout le week-end, le Bootleg fêtera son dernier anniversaire, organisé par le collectif bordelais A l’Eau. L’occasion de clore dignement un chapitre consacré à la culture émergente qui ne demande qu’à faire vibrer Bordeaux sans interruption. « Il y a la place pour autre chose… et comme la nature déteste le vide… » conclut la salle de concert sur sa page Facebook.
Lysiane Larbani