Après la mise à sac de son ambassade à Téhéran suite à l’exécution du chef religieux chiite Nimr Baqer Al-Nimr, l’Arabie Saoudite a rompu ses relations avec l’Iran. Une crise diplomatique inquiétante, entre deux puissances régionales rivales. René Otayek, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du Monde Arabe, nous livre son analyse de la situation.
Quelles sont les véritables origines de ces tensions? Sont-elles religieuses, politiques, ou économiques ?
Je ne sais pas s’il y a un facteur qui prime sur les autres. Ce qui est sûr c’est qu’il ne s’agit pas d’un conflit religieux, comme on peut l’entendre trop souvent. La variable religieuse doit être prise en considération, mais ce n’est pas la religion qui explique le conflit entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Le facteur géopolitique régional pèse très lourd dans cette affaire. Je dirais que le conflit est d’ordre pétrolier. Cette compétition entre l’Arabie Saoudite et l’Iran les mène également à se nourrir des situations en Irak, au Liban et en Syrie, ce sont des guerres par acteurs interposés. L‘Arabie Saoudite est engagée dans une course d’influence avec l’Iran. C’est peut-être là où la variable religieuse doit être prise en considération. L’Arabie Saoudite joue sa crédibilité, sa légitimité, celle de première puissance sunnite. Il faut qu’elle préserve son statut de puissance protectrice du sunnisme.
La source des tensions récentes est l’exécution par l’Arabie Saoudite de Nimr al-Nimr, un chef religieux chiite. Cette décision va-t-elle mener à une escalade de violence dans la région ?
Je ne sais pas si cette exécution va bouleverser la situation autant qu’on le dit. Les équilibres sont déjà bouleversés. L’exécution de ce dignitaire religieux chiite vient ajouter de la tension à la tension. L’effet le plus immédiat a été que cette fameuse coalition anti Daesh que l’Arabie saoudite avait proposé et que l’Iran avait acceptée est aujourd’hui remise en cause dans son principe. L’autre conséquence, c’est effectivement le récent sommet de la Ligue arabe qui a permis de dégager une forme d’unanimité relative contre l’Iran. Mais est-ce que cela change grand-chose ? Je ne pense pas, c’est une situation qui existait déjà.
L’Arabie saoudite connaît actuellement des difficultés économiques. L’Iran, de son côté, n’est plus soumis à l’embargo et va peu à peu s’ouvrir aux marchés internationaux. L’Arabie saoudite craint-elle de voir l’Iran monter en puissance et reprendre un peu le leadership régional ?
Je pense que l’Arabie Saoudite a peur, car l’Iran n’est plus au banc des nations. Elle a fait son retour sur la scène internationale et du coup, la fonctionnalité de l’Arabie saoudite dans la stratégie américaine devient beaucoup moins importante. Son utilité est dévalorisée, mais ça ne veut pas dire que les États-Unis ont décidé de se passer définitivement du royaume. De plus, l’Iran est un pays important : c’est un géant avec un marché énorme, de près de 80 millions d’habitants. L’Arabie saoudite se fait du souci. D’autant plus qu’elle est pointée du doigt pour son soutien financier à Daech. Elle est donc en situation défensive.
Cette situation peut-elle inciter l’Iran à accélérer le rapprochement avec l’Occident, en marche depuis les accords sur le nucléaire ?
Ça se fera en fonction des équilibres politiques internes en Iran. La diplomatie iranienne et l’attitude à l’égard des pays occidentaux sont le résultat de compromis entre l’aile modérée et l’aile dure du pays. C’est à ce niveau-là que se jouent les inflexions de la politique étrangère iranienne. Malgré l’accord sur le nucléaire iranien, il y a toujours une grande méfiance. Il n’y a qu’à écouter les discours qu’on entend en France de la part du gouvernement. La politique moyen-orientale de la France se caractérise aujourd’hui par une alliance avec l’Arabie saoudite et une méfiance très vive vis-à-vis de l’Iran.
Propos recueillis par Jennifer Biabatantou et Valentin Breuil