A Bordeaux, environ 1000 personnes seraient logées dans des squats et des bidonvilles. Au quartier Grand Parc, un immeuble occupé par des familles sans abris devra être évacué au mois de juin pour permettre à un projet municipal de voir le jour. Nous sommes allés à la rencontre des acteurs et actrices associatif·ves et des élu·es concerné·es.
« Depuis 2 ans j’ai mis ma vie perso de côté pour ça ». Ça, c’est la Mine, un immeuble situé au quartier Grand Parc. C’est ici que Morti, créateur de l’association Diamants des cités, a créer un squat pour reloger des sans-abris. Problème, le bâtiment appartient à la mairie. Après un an de dialogue avec les autorités publiques et d’occupation illégale mais consentie des douze appartements de la bâtisse, les 53 personnes dont 24 enfants doivent quitter les lieux pour le mois de juin.
« Un terrain miné »
Tout commence en 2019 durant le premier confinement. Morti fait son footing quotidien aux alentours de Bordeaux Lac. En pleine pandémie, le quadragénaire s’inquiète de voir autant de personnes sous des tentes. « J’ai commencé à leur amener de la nourriture et des vêtements », raconte-t-il. Après des semaines de maraudes solitaires, ce résident de Grand Parc a une idée. « Depuis mon appartement je voyais ce bâtiment vide. Alors, j’ai décidé d’ouvrir et de faire venir les familles et les personnes qui étaient dehors ».
C’est juste après le premier confinement que l’occupation commence, et très vite, tous les logements sont habités. La mine grouille de celles et ceux que Morti appelle « les diamants ». « Tout le monde a un talent, une chose qu’il aime faire. Si les gens peuvent s’en sortir grâce à ça, c’est encore mieux. D’où l’idée de diamants, ils sont brut mais il faut juste les travailler pour qu’ils révèlent leur éclat ». En ce sens, Morti a multiplié les initiatives. Ateliers théâtre pour les enfants, création de composts ou encore collaboration avec des réalisateurs et réalisatrices pour faire participer des jeunes à des castings de figurantes et figurants lors de tournage de film dans la ville.
A l’automne 2021, lors d’une première visite des lieux, l’ambiance dans la Mine est chaleureuse. Dans l’appartement du 3ème étage où Morti a installé son bureau, les passages s’enchaînent. Autour d’un plat, les voisines et voisins de palier se rejoignent pour discuter. Parmi les habitantes et habitants de la Mine, certain·es sont en OQTF (Obligation de quitter le territoire français), nous explique Morti. De très nombreuses nationalités sont éparpillées sur les cinq étages de l’immeuble. « Il y a des Syriens, des Algériens, des Marocains, des Libyens ».
Pourtant bien installé·es, les résidentes et résidents de la Mine sont déjà menacé·es d’expulsion. La mairie avait décidé de les laisser occuper les lieux jusqu’en juin. « Ils ont prévu de nous laisser jusqu’à la fin de l’année scolaire, mais après on devra partir », déplore Morti.
Une expulsion confirmée
Quatre mois plus tard, l’ambiance est tout autre. « Ça va être la guerre » prévient Morti. La décision est ferme, la Mine est expulsée. « le problème c’est qu’ils ne proposent pas d’autres solutions. Ils nous disent juste d’appeler le 115. Tous les habitants sont paniqués. » Selon l’association, la Mine devrait disparaître pour laisser place à un parking. Une information démentie par Stéphane Pfeiffer, adjoint au maire chargé du service public du logement et de l’habitat. En réalité, l’immeuble devrait être démoli pour réaliser un projet de renouvellement urbain. Une initiative destinée à modifier le quartier et à reconstruire l’espace public. En ce sens, l’expulsion de la Mine devait être réalisée depuis six mois. La mairie a simplement accepté de repousser l’expulsion, mais il revenait à l’association de trouver une solution.
Le réel problème, que ce soit pour la Mine ou pour les squats bordelais, est le statut des personnes concernées. La majorité des sans abris étant sans papier, la mairie ne peut légalement proposer aucune solution d’hébergement ou d’emploi. En dépit de la scolarisation des enfants, comme dans de nombreux squats, les occupantes et occupants ne sont pas régularisé·es et ne peuvent donc recevoir aucune aide étatique. Un enjeu qui n’est pas du ressort de la mairie mais de l’Etat, par le biais de la préfecture chargée de régulariser. « Ce qu’il faudrait c’est que la préfecture régularise davantage. Si c’était le cas, on serait capable de de proposer des solutions », plaide Stéphane Pfeiffer.
La Gironde face aux phénomènes de squat:
Pour l’adjoint responsable du logement, il y a un réel problème autour de la question du squat : « À Bordeaux, il y a environ mille personnes qui vivent dans des squats ou dans des bidonvilles », précise-t-il. En 2019, la préfète Fabienne Buccio avait assuré vouloir « fermer le plus de squats possible ». Deux ans plus tard, la préfecture rappelle que les squats ne peuvent être évacués que lorsqu’il y a une décision de justice. Une fois l’expulsion réalisée, l’Etat doit obligatoirement proposer une solution de relogement aux personnes en situation régulière. C’est après avoir étudié, avec les services sociaux, le profil des personnes, qu’une solution d’hébergement d’urgence est proposée.
Le 11 février 2021, le squat de la zone libre à Cenon, habité par 300 personnes dont une centaine d’enfants, a été démantelé. Si des propositions d’hébergement ont été faites à certain·s habitantes et habitants, celles-ci étaient inadaptées à leur situation : seulement quelques jours d’hébergement proposés, dans des villes très éloignées (jusqu’à trois heures de route), alors que le suivi médical et social des habitantes et habitants ainsi que la scolarisation des enfants étaient à Cenon. Par conséquent, seulement un quart des personnes expulsées ont accepté ces propositions d’hébergement temporaire.
Pour les personnes en situation régulière expulsées d’un squat, 1754 places d’hébergement d’urgences existent, nous précise-t-on à la préfecture. Un effort, qui a été fait sur les cinq dernières années sur le département. Mais à l’échelle nationale cependant, dans 91% des cas, les personnes expulsées ne se voient pas proposer un logement de secours, selon le rapport de l’Observatoire des expulsions.
Sarah Khorchi et Raphaël Jacomini