Ce dimanche 18 mars 2018, aucun doute n’est permis : Vladimir Poutine reviendra pour six ans à la tête de la Russie. Dans cette campagne présidentielle, sept opposants tous plus invisibles les uns que les autres lui font face. Et une seule femme, l’ex-star de télé-réalité Ksenia Sobtchak. Et si, dans les derniers instants, elle volait le Kremlin à l’archi-favori ? Fermez les yeux et imaginez un peu…
Qui aurait cru, un an auparavant, que Ksenia Sobtchak serait contrainte à la démission après douze petits mois passés au Kremlin ? Le peuple russe peut-il vraiment s’en vouloir d’avoir porté au pouvoir celle qui allait mettre à mal un système économique historique ? En un an, la Russie est méconnaissable, défigurée. Comment cela a-t-il pu arriver ?
Flashback. Ce lundi 19 mars 2018, le soleil se lève sur un jour historique pour la Fédération de Russie. La veille, l’impensable s’est réalisé. Vladimir Poutine n’est plus, malgré son soutien populaire si étendu, le chef du pays. L’ancien patron du KGB s’est fait doubler, d’une manière pour le moins spectaculaire, par l’une de ses concurrentes les moins menaçantes dans cette campagne présidentielle : Ksenia Sobtchak. L’ancienne animatrice de télévision, créditée de 1 à 3% dans les derniers sondages, a profité d’un énorme scandale sexuel mouillant toute la classe politique de Pavel Groudinine (Parti communiste KPRF) à Vladimir Jirinovski (Parti libéral-démocrate LDPR), pour remporter haut-la-main le scrutin dès le premier tour, avec plus de 53% des voix.
L’espoir populaire
Mais si la société russe se retrouve sidérée à la suite de cette septième élection présidentielle depuis la chute de l’URSS, ce n’est pas seulement à cause de la défaite de Poutine. Actuellement dans une grave crise économique, le peuple russe n’attend qu’une seule chose : que ses oligarques de la première génération, qui se sont enrichis en rachetant au rabais les grandes entreprises issues de l’ère soviétique, réinvestissent dans l’économie du pays et cessent de placer leur argent à l’étranger. Un chiffre a marqué les esprits : 2620 multimillionnaires (sur 140 millions d’habitants) détiennent 63,5% du PIB de la Russie.
Mais Ksenia Sobtchak ne l’entend pas de cette oreille. Pro-occidentale affichée depuis le début de sa campagne en octobre 2017, la jeune femme de 36 ans préserve ses mécènes, dont les très influents Vladimir Palikhata et Sergueï Adoniev. Elle abandonne dans la foulée toute taxe sur les mouvements de capitaux vers l’étranger. « La Russie ne saurait être forte sans des pays frontaliers puissants », martèle celle dont la fortune s’élève à 2,8 millions de dollars, selon le magazine Forbes. Cette première tentative est un véritable échec. Pour son premier mois au Kremlin, Ksenia Sobtchak réussit le triste exploit de baisser, encore une fois, la plupart des salaires. En cause : le gros manque de compétitivité de la Russie, qui ne possède pratiquement plus aucune industrie, face à des concurrents comme la Chine. « Je ne comprends pas comment on peut laisser le système économique d’un pays comme la Russie à une telle arnaqueuse », dénonce Pavel Groudinine, candidat communiste à la tête de la plus grande entreprise de production de fraises en Russie.
Les cartes géopolitiques rebattues
Voici maintenant huit mois que Ksenia Sobtchak tient les rênes de la Russie, tentant tant bien que mal de noyer son manque d’expérience dans des sorties médiatiques remarquées, mais de moins en moins appréciées par les Russes. À l’occasion des élections de mi-mandat aux États-Unis en novembre 2018, censées renouveler la Chambre des représentants et un tiers du Sénat, Sobtchak affiche un soutien indéfectible au président américain Donald Trump, qu’elle qualifie même de « père spirituel ». La déclaration de trop. En Russie, pendant son absence, Vladimir Poutine, absent de la scène publique depuis le 18 mars 2018, monte au créneau sur la chaîne Rossiya 1. « Son père [Anatoli Sobtchak, proche de Poutine et ancien maire de Saint-Pétersbourg, ndlr] n’aurait jamais accepté une telle soumission. Vous ne méritez pas le peuple russe, Ksioucha ! » Tollé international.
Avant son retour au pays, et par peur de devoir démissionner dans les prochains jours, Ksenia Sobtchak profite de l’hospitalité américaine pour prendre deux décisions capitales pour la place de la Russie dans le monde. « J’annonce officiellement, et au nom de toute la Russie, la fin du soutien de notre puissance militaire au régime de Bachar El-Assad en Syrie. Ce qui implique également la fin des frappes russes », révèle-t-elle dans une interview-fleuve au New York Times. Les soulèvements populaires reprennent de plus belle en Russie.
Mais ce n’est pas tout. Trois jours après son retour à Moscou, et alors que la tension est à son comble au Kremlin, Ksenia Sobtchak décide de se ranger une fois de plus derrière les Américains, en menaçant directement la Corée du Nord. « Je n’ai plus envie que notre grand pays soit l’allié permanent de dictatures. C’est pourquoi je décide officiellement de rendre opérationnel, dès 2020, le RS 28 Sarmat [un missile nucléaire intercontinental, ndlr] et de le diriger vers la puissance nord-coréenne. » Vladimir Poutine avait dévoilé l’identité de ce nouveau missile, une réelle menace aux États-unis, lors de son discours devant le parlement du 1er mars 2018, quinze jours avant sa défaite. Ksenia Sobtchak vient d’en changer la destination.
L’arroseur arrosé
La tension était enfin retombée. Et pourtant, en ce 18 mars 2019, le peuple russe assiste à la chute de sa présidente mort-née, un an jour pour jour après son éclatante victoire. Tout part d’une photo sur Instagram, datant de 2001 et révélée par le site d’information Sputnik dans la matinée. Une image où l’on voit Ksenia Sobtchak embrasser un homme, visiblement son ex-fiancé. Cet homme, c’est Jared Kushner. Le gendre actuel de Donald Trump. Le site révèle très rapidement que, depuis 2017, quelques mois avant la campagne présidentielle, un des frères Kushner, Joshua, a mené une vaste opération d’attaques informatiques pour fournir de fausses preuves sur un scandale sexuel impliquant toute la classe politique russe, sans exception. Une fraude réalisée grâce à son fonds d’investissement Thrive Capital, spécialisé dans les médias et internet. Incapable de s’en expliquer décemment en direct à la télévision russe, Ksenia Sobtchak annonce sa démission dans un tweet le lendemain.
Vladimir Poutine, lavé de tout soupçon, peut faire son grand retour. Son nouveau programme, restructuré en quelques jours, dénonce l’inexpérience politique qui a failli détruire son pays. Le nouveau scrutin n’est qu’une formalité pour lui. Enfin, comme devait l’être celui du 18 mars 2018…
Cet article a été réalisé avec l’aide précieuse de Natallia Kosak, professeure de géopolitique et de l’histoire des relations internationales à l’Université du Temps Libre de Bordeaux.