Paris, 4 sept 2017 – Deux semaines, déjà que les manifestants battent le pavé contre le résultat du référendum sur le Frexit. A la veille de la rentrée scolaire, des milliers d’étudiants, de professeurs, et de chercheurs se sont rassemblés Place de la République à Paris pour mettre la pression au gouvernement Le Pen. Tous ont peur d’une chose : la fin des échanges intellectuels en Europe.
Comme pour accompagner la triste mine des 150 000 manifestants, la pluie s’abat violemment sur la place de la République en ce début d’après-midi. Ce n’est pas suffisant pour perturber Sophie Giraud, jeune étudiante en biologie de 23 ans. Microphone à la main, elle mène la danse et scande : « Sauvez Erasmus, dites non au repli ! ». Des larmes sont dessinées aux couleurs du drapeau français sur ses joues. La sortie de l’Union européenne signifie la fin des échanges universitaires et, pour elle, c’est un rêve qui s’effondre.
« Ce matin j’ai reçu un appel de mon directeur de stage en Finlande qui a préféré annuler l’échange que je devais faire dans deux mois. Je ne comprends pas ça fait déjà un an que je peaufine mon projet pour intégrer cette ONG qui protège la faune et la flore menacées dans le sud-est du pays. Ca m’aurait permis de valider mon mémoire, c’est une vraie désillusion ! »
L’histoire se répète. Comme lors de l’annonce du Brexit en juin 2016, les universités européennes réagissent précipitamment à l’annonce du Frexit. En cette rentrée 2017, elles anticipent déjà les futurs réformes et bloquent les procédures d’échanges avec les étudiants français.
« L’année dernière ma meilleure amie a dû annuler ses cours dans une grande université anglaise parce que les frais de scolarité s’élevaient à 7000 euros. Je suis certaine que ça va être la même chose pour beaucoup d’étudiants dans toute l’Europe cette année. Avec ce Frexit, c’est tout un symbole de la solidarité européenne qui s’effondre » conclut Sophie.
Les coûts des échanges scolaires sont une grande préoccupation pour les étudiants qui bénéficiaient de bourses grâce à Erasmus. La future sortie de l’euro promise par la présidente Marine Le Pen refroidit petit à petit les derniers courageux encore prêts à tenter leur chance à l’étranger.
Dans cette foule épaisse, il faut savoir jouer des coudes pour approcher les organisateurs du rassemblement. Ils sont une dizaine à s’être abrités sous une tonnelle. Tous sont membres de la CJC (Confédération des Jeunes Chercheurs). « C’est la fin des générations internationalisées ! La fin d’une ouverture sur le monde tant grâce à l’apprentissage des langues qu’à l’assimilation de nouvelles perceptions. » déplore Julien Salert, chercheur en médecine.
Une mort prématurée
Il faut rappeler que le programme Erasmus, qui fête ses 30 ans cette année, a permis à 4 millions de personnes de profiter d’échanges peu coûteux pour étudier ou travailler en Europe. Erasmus, c’est également une grosse enveloppe, 1,6 milliards d’euros engagés chaque année par la Commission Européenne. Un budget qui permet notamment à 125 000 organisations de collaborer pour innover dans l’enseignement. Enfin, pour les entreprises françaises, ces échanges sont l’occasion de bénéficier de compétences internationales. « C’est bien simple, sans ces échanges de connaissances entre pays, c’est quasiment impossible de rayonner seuls au niveau culturel et technologique » résume Julien. « Avec des projets de recherches communs on peut aller plus loin et plus rapidement. On peut espérer être plus compétitifs que les Américains. Mais c’est certain, la France seule ne peut pas mettre en place des dispositifs de recherche de grande envergure surtout pour les sciences dures ».
Alors pour l’avenir la CJC espère que tous les programmes liées à l’éducation ne seront pas supprimés. Ils reprennent souvent l’exemple de la Suisse qui ne fait pas partie de l’Union Européenne mais qui participe au programme Erasmus. Ils font également référence au processus de Bologne qui permet d’harmoniser les systèmes de notation et qui concerne 35 pays dont certains hors Europe comme la Russie. Autant de moyens pour eux de « limiter les dégâts ».
Depuis son élection, Marine Le Pen mène une politique isolationniste qui tend à refermer la France sur elle même. En témoigne, la complexification du système administratif qui inquiète de plus en plus les nouveaux arrivants. Il faudra désormais demander des autorisations de résidences et des visas. Un processus qui décourage déjà les étudiants étrangers et qui obligent les chercheurs à fuir alors même qu’ils ont obtenu un CDI.
Edouard Gallager est un professeur de philosophie anglais installé en France depuis 20 ans. Sur sa large pancarte rouge il a tracé en lettres blanches: « Frexit = Brainxit ». Il explique : « comme pour le Brexit, la France n’est pas encore sortie légalement de l’Europe que les gens anticipent. Ils ont peur des discriminations à l’emploi. Qui peut savoir combien d’étrangers seront autorisés à travailler ici ? ». Il ajoute : « Je connais beaucoup d’européens installés en France qui pensent à fuir puisqu’ils ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés ! ».
Merci à Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS, pour son aide précieuse.