Certains gilets jaunes de Bordeaux comparaissaient au Tribunal à la suite des manifestations du week-end dernier. Leurs avocats redoutent que leurs peines « servent d’exemple », en prévision d’un éventuel acte V du mouvement. Une justice inégale dont l’organisation du dispositif de sécurité comporte des failles : récit.
Mardi 11 décembre, 16h au Tribunal de Grande Instance de Bordeaux. Cédric, qui comparait libre, s’avance à la barre. Il est ici pour répondre aux accusations « d’attroupement après sommation de dispersion », « violence sur des fonctionnaires de police » et « dégradation d’un véhicule » samedi dernier. Au président, qui lui demande pourquoi il a lancé des pierres en direction des forces de l’ordre, il répond d’une voix mal assurée : « je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête. Maintenant, tout le monde m’en veut ».
Cédric, comme de nombreux gilets jaunes, est un primo-manifestant. C’est aussi la première fois qu’il est interpellé. L’expérience l’a marqué : « j’ai très mal vécu la garde à vue ». S’il est assisté d’une avocate pendant la comparution – c’est obligatoire – ce n’était pas le cas lors de son interpellation. Maître Noel, qui est justement chargée de sa défense, le regrette : « L’avocat est fondamental en garde à vue. Il est là pendant les auditions et intervient pour éviter les questions orientées ».
Pourtant, sur les 54 gardes à vue, seuls 7 prévenus ont fait une demande d’avocat. Un chiffre peu élevé qui serait dû à des tentatives de dissuasion de la part des policiers. Maitre Noel l’affirme : « Tous les prévenus tiennent le même discours : « parce qu’on nous a dit qu’on sortirait plus vite ». Or c’est totalement faux ! Les citoyens susceptibles de se faire interpeller ne doivent pas céder à la pression ». Pas facile pour une première fois au commissariat. Les avocats appelés en renforts par l’Institut de Défense Pénale du barreau de Bordeaux en prévision des nombreuses interpellations se sont donc avérés inutiles.
Un savant calcul de la part de la préfecture
Le procureur, au début de son intervention, tient à rappeler qu’il « n’est pas question de remettre en cause le droit de manifester, mais que celui-ci répond à des règles ». La manifestation de samedi n’était pas déclarée, le fait d’y participer plaçait automatiquement Cédric en situation d’illégalité.
L’irruption de casseurs aux alentours de 16h30 samedi, a fini par entraîner plusieurs sommations de dispersion et l’intervention des forces de l’ordre. Le procureur pointe que le prévenu était parfaitement au courant que la manifestation devait prendre fin : « Il savait qu’il se rendait coupable. Rien ne l’autorisait à s’en prendre aux forces de l’ordre, ce qu’il a d’ailleurs du mal à expliquer ».
Maître Noel critique pour sa part le dispositif : « On ne peut pas opposer aux citoyens les « tortues ninja », les policiers avec la carapace et tout l’attirail, les blindés… ça déraille parce qu’il y a une disproportion entre ce qui est prévu par la police pour protéger et la réalité : cela créé des tensions ». La réponse des forces de police ne doit pas être la même pour les citoyens lambda que pour les casseurs. L’avocate n’hésite pas non plus à pointer du doigt un certain « laisser-faire » : « s’il y a besoin de cet usage abusif de la force, c’est parce que l’on a volontairement trop attendu, ce qui arrange le gouvernement : les violences décrédibilisent le mouvement ».
Organiser la défense de ces gilets jaunes, confrontés pour la première fois à la justice, a demandé un peu d’adaptation : « beaucoup de choses sont scellées car les prévenus se sont exprimés en garde à vue sans avocat ». Beaucoup de gardes à vue auraient été inutilement allongées : « La plupart sont des « prolongations de confort ». Au lieu de finir la procédure le soir, on s’en occupe tranquillement le lendemain pour « garantir la représentation du prévenu ». Samedi, le commissariat était plein ! ».
Des procédures « bancales »
Lorsque Maitre Noel vient défendre son client à la barre, elle insiste : « c’est un vrai gilet jaune. Le 8, il est venu montrer son ras le bol. Il ne doit pas devenir un exemple ».
Beaucoup de dossiers reposent essentiellement sur la fiche de mise en disposition, le formulaire que remplissent les forces de police au moment de l’interpellation. Celui de Cédric ne fait pas exception. « La plupart du temps, les cases de toutes les infractions possibles sont cochées » soupire Maître Noel. Son client avait été au départ interpellé uniquement pour « participation à un attroupement », non pour violences ou dégradation. Ce que l’avocate ne manque pas de rappeler à la Cour : « pour le reste, vous n’avez aucune certitude ».
Dans le dossier se trouve également le témoignage d’un officier de police, « Pour un individu lambda, c’est très difficile à contester. Le curseur des droits est proche de zéro » regrette l’avocate. Comme pour lui donner raison, le procureur avait évoqué dans son allocution quelques minutes auparavant « des forces de police de qualité et donc faisant foi ».
Le procureur avait demandé 100 jours amende à hauteur de 5€, tenant compte de « la gravité des faits mais aussi de l’absence de casier ». Maître Noel avait pour sa part plaidé pour un sursis simple. Les juges ont suivi sa requête : Cédric a été condamné à un mois de prison avec sursis, la peine minimale.
Après l’audience, satisfaite, elle déplore pourtant le « tri préalable » effectué entre les 69 interpellations (selon la préfecture), les gardes à vue et les comparutions immédiates, qui auraient dû être bien plus nombreuses. « Beaucoup de procédures au commissariat étaient bancales, donc ils n’ont pas pris de risque. Mais s’il y a vice de procédure et que la personne interpellée ne va pas voir un avocat, la suite s’avère compliquée ». Son message aux citoyens est donc clair : « ne renoncez jamais à un avocat en garde à vue ».