Psychanalyste et animatrice de « cafés mortels », Edileuza Gallet œuvre depuis dix ans au sein de la coopérative funéraire Syprès pour briser le tabou de la mort. Elle nous explique l’importance de ces espaces de parole et partage son approche de l’accompagnement du deuil.
Pourquoi vous attachez-vous à libérer la parole autour du deuil ?
La mort reste taboue, parce qu’elle est la peur la plus extrême dans notre société occidentale. Pendant les guerres mondiales, la mort était même considérée comme quelque chose de pornographique. Depuis, il y a beaucoup de souffrances autour de la mort. Les gens sont très angoissés et meurent souvent dans la solitude en France. Cette situation de tabou n’aide pas non plus la santé mentale des proches qui restent. Dans l’imaginaire collectif, il y a l’idée que le deuil est une maladie contagieuse. Si on n’en parle pas, ça n’existe pas. C’est d’autant plus le cas quand il s’agit d’un·e enfant, le tabou est plus grand car c’est la peur la plus forte. Nous avons mis en place des cafés mortels où les participant·e·s se réunissent pour discuter ouvertement de la mort, du deuil et des questions qui y sont liées. On peut parler de la mort sans mourir.
En tant que psychanalyste, comment accompagnez-vous les personnes endeuillées, notamment après la perte d’un·e enfant ?
Je viens du Brésil, cela a une grande influence sur mon approche. C’est un endroit où la mort violente est très présente dans l’espace public. Là-bas, les gens peuvent pleurer ensemble leurs mort·e·s, exprimer leurs émotions plus librement, là où en France, le sujet est évité. C’est ce constat qui m’a poussée à agir, à me former aux rites funéraires laïques en Suisse et à travailler sur ces questions depuis plus de dix ans. Dans ma pratique clinique, je n’emploie pas le concept de « faire son deuil » car nous ne sommes pas des machines, mais des êtres humains. Il s’agit plutôt d’un processus pour apprendre à vivre avec nos personnes mortes. On peut traverser cette expérience, car on n’a pas le choix, mais on peut aussi la transformer en autre chose. On peut retrouver le goût de vivre. La perte d’un·e enfant est particulièrement difficile, elle est contre-nature, contre l’ordre des choses. La manière dont la personne est décédée peut avoir un impact, notamment si c’est une mort brutale, mais ce n’est pas le seul facteur. Chaque expérience est unique. Dans mon travail clinique, j’essaie d’être le plus à l’écoute possible. Il faut éviter de dire « je comprends » si on n’a pas vécu la même chose. L’important est de prendre l’humain là où il est, de l’accompagner et de l’écouter.
La France a-t-elle un rapport particulier à la mort des enfants ?
Dans les « cafés mortels » que j’ai animés, j’ai rencontré des parents qui n’avaient même pas les mots pour nommer leur douleur en français. Dans d’autres cultures, les gens « bricolent » pour qualifier leur nouvelle identité de parents qui ont perdu leur enfant. Cependant, il y a des évolutions positives. Plusieurs associations ont été fondées par des parents endeuillés, créant ainsi une parole nouvelle dans l’espace public. Ces parents ont une meilleure connaissance du sujet et peuvent partager leur expérience. De plus, la pandémie de COVID-19 a suscité une prise de conscience et le deuil commence à être plus évoqué dans l’espace public. Il faut faire encore plus de choses parce que ce tabou n’est pas bon pour nous en tant que société.
Propos recueillis par Juliette Hirrien