Du visa étudiant au visa salarié : le parcours du combattant des étudiant·es immigré·es

Le nouveau texte de loi sur l’immigration est l’occasion de relancer le débat sur l’insertion professionnelle des personnes immigrées en France. Reportage à Bordeaux pour estimer l’impact sur les nouvelles générations d’étudiant·es immigré·es, premier⋅es concerné⋅es par ce projet de loi.  

“J’ai l’impression qu’ils font tout pour qu’on baisse les bras, obstacle après obstacle”. Tels sont les mots d’Ania, étudiante algérienne arrivée sur le sol français en septembre 2021. Elle jongle entre les cahiers et les documents administratifs, entre le campus de Bordeaux Montaigne et la préfecture. À seulement 22 ans, cette jeune femme se démène pour conserver son titre de séjour. 

Nombreux⋅ses sont les étudiant⋅es immigré⋅es qui se tournent vers la France pour leurs études et leur future insertion professionnelle. Si le texte de loi actuellement débattu à l’Assemblée prévoit la création d’un titre de séjour particulier aux « métiers en tension », rares sont ceux qui se tournent naturellement vers ces secteurs. Ania, par exemple, a choisi de faire des études en urbanisme. Cette décision aura des conséquences sur son insertion. Sa volonté de venir en France lui avait déjà occasionné des désagréments administratifs : “Il y a énormément de pré-requis pour espérer être accepté par une université française, puis pour faire la demande de visa étudiant”. Elle est arrivée avec un visa de trois mois, le temps de faire sa demande de titre de séjour. Ce dernier est conditionné par la nécessité d’avoir des ressources financières conséquentes. Ce qui pèse sur sa famille, restée en Algérie. Une fois arrivée en France, Ania constate que la procédure d’obtention d’un titre de séjour est particulièrement laborieuse et chronophage. 

Chercher un emploi, chercher un visa

Pour les étudiant⋅es immigré⋅es, quitter l’université implique le basculement d’un visa étudiant à un visa salarié. Une étape soumise à l’obtention d’un emploi et à la volonté de l’employeur de prendre en charge les démarches administratives. Âgée de 27 ans, Lina*, également algérienne, est arrivée à Bordeaux en 2014 pour ses études. Elle est salariée dans le secteur des médias, mais pour en arriver là, le chemin a été plus compliqué que prévu. “J’ai trouvé une entreprise qui a accepté de m’embaucher et de prendre en charge les démarches administratives pour obtenir les autorisations adéquates. Mais c’était sans compter de nombreuses complications liées aux documents à fournir qui m’ont fait perdre des mois sur la procédure”. 

Elle a fini par obtenir une autorisation de travail provisoire de 3 mois, qui correspond au délai de traitement de son dossier. Cela lui a permis de signer un premier CDD qui devait rapidement se transformer en CDI. “Les délais ont été plus longs que prévu et je me suis vu refuser le renouvellement de mon autorisation provisoire. J’ai donc perdu mon emploi car l’entreprise ne pouvait pas attendre”.

« Une entreprise doit justifier le choix de recruter un·e étranger·e plutôt qu’un français·e »

Lina

À cela, s’ajoute un effet de concurrence entre ces nouveaux⋅elles actif⋅ves et les citoyen⋅nes français⋅es dans leur secteur de prédilection. C’est ce qu’explique Lina lorsqu’elle a commencé à chercher du travail en 2019 : “Les RH ne peuvent valider notre recrutement qu’à la suite d’une procédure qui implique une publication préalable d’une annonce sur Pôle Emploi, un délai imposé par l’entreprise pour s’assurer qu’aucun français ne soit candidat à cette offre, puis une justification du choix de recruter un·e étranger·e plutôt qu’un français·e”

Félicie Penneron, co-présidente de l’antenne bordelaise de l’entreprise Each One, spécialisée dans l’accompagnement des personnes immigrées, confirme les difficultés à s’insérer sur le marché du travail pour ces futur⋅es actif⋅ves. Selon elle, la France a plutôt tendance à disqualifier les travailleur⋅ses immigré⋅es, au détriment de leurs réelles compétences. Dans le cadre de ses missions, elle constate que les personnes qu’elle encadre ont des difficultés à décrocher un poste dans leur domaine de compétences à la sortie de leurs études : “Un de nos participants avait deux masters en économie et travaillait à la Chambre d’agriculture de Kaboul. Une fois arrivé en France, il s’est retrouvé à travailler en tant que chef de rayon dans un supermarché ”. Difficile donc de pouvoir prétendre à un emploi adapté à leur niveau d’étude. 

Toutes ces difficultés freinent l’intégration professionnelle des étudiant⋅es immigré⋅es depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, on peut se demander si le 29e texte de loi sur l’immigration depuis 1980 va réellement changer la donne pour eux·lles. C’est ce que des entreprises et associations comme Each One cherchent à analyser pour mieux encadrer l’accompagnement de ce public spécifique. Félicie s’interroge sur un possible changement de stratégie des étudiant·e·s et se pose la question suivante : “faut-il s’orienter vers des secteurs qui recrutent indépendamment de sa qualification ?

Quand se projeter vers l’avenir devient un luxe  

Les étudiant·e·s ne sont pas tous·tes stratèges. Certain·es d’entre elleux ont du mal à appréhender les difficultés pour obtenir un visa salarié et les effets directs de la loi. C’est le cas de Julia Souza, étudiante brésilienne de 27 ans, arrivée en France en 2017. Issue de la classe moyenne carioca, elle voit en son pays d’accueil des opportunités plutôt qu’un refuge. Son objectif est de concrétiser son projet de danse après ses études, quel qu’en soit le prix : “Je suis convaincue de vouloir rester en France et je vais faire tout mon possible pour obtenir mon visa travail quand ce sera le moment”. 

Julia Souza travaille 24 heures par semaine à côté de ses études dans une boutique de téléphonie pour payer son loyer. © Emma G

Ania, elle, s’est faite une raison. Si demain la politique française ne lui est pas favorable, elle n’aura pas de mal à la quitter : “Mon but n’est pas de rester en France à tout prix. Je veux simplement avoir un bon diplôme et une belle carrière. Et pour cela, je suis même prête à partir dans un autre pays”. 

*À la demande de la personne interviewée, nous avons changé son identité.

Emma Guillaume @EmmaGpro et Sara Jardinier @Sara_Jardinier

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