Après douze années de bons et loyaux services, Sylvie et David, gérants de la sandwicherie bordelaise La Pause Class, tirent leur révérence. Au grand regret des dizaines lycéens et étudiants des alentours qui y passent leur temps. Plus qu’un commerce, cette petite enseigne située entre la gare et la Victoire est un véritable refuge pour eux.
« On y vient dix minutes pour prendre un café et on y reste quatre ans. » Pour sûr, Manu « versera une larme » quand le rideau de « la Pause » se fermera définitivement vendredi 27 avril. Élève en BTS au lycée Gustave Eiffel, où il a passé son bac, il est venu comme une vingtaine d’autres jeunes au 2 Place André Meunier dit Mureine, pour le pot de départ de Sylvie et David organisé ce mardi. Quelques ballons de baudruche, des amuse-gueules, et même des bières en libre-service, pour les plus de dix-huit ans bien entendu. Ça n’empêche pas le couple de continuer à mitonner paninis et américains-frites, que tout le monde est venu savourer pour la presque dernière fois. Douze ans donc qu’ils se sont établis ici. Avant, ils tenaient un point presse à Paris, dans la frénésie de la gare Saint-Lazare. « Douze ans de Pause, douze ans de bonheur », selon Sylvie.
Le QG des lycéens du coin
« Sans savoir qu’il y avait tous ces lycées autour», ils achètent ce fond de commerce en 2006. Après une première année un peu compliquée, les lycéens du coin finissent par fréquenter assidûment ce qui s’appelait encore à l’époque le « Cercle Mureine ». « Ce changement de nom nous a un peu perturbé au début. On ne disait plus « on va au Cercle » mais « on va à la Pause » ». Guillaume et Gabriel sont des historiques . Depuis l’année 2008 où ils fréquentaient les bancs du lycée Eiffel, ils demeurent de fidèles clients. « Ça a toujours été le lieu de rassemblement des lycéens et étudiants du coin. On faisait partie des gens qui squattaient là. On est un peu les derniers loups de mer », explique Guillaume. Gabriel, lui,se souvient de ces moments passés ici, entre les cours, « ou parfois même pendant ».
David et Sylvie sont ravis d’accueillir une telle clientèle, « jeune et moins embourgeoisée que les adultes». Et ce dans un quartier qui se gentrifie à vue d’oeil, où manger sur le pouce pour pas cher est de plus en plus difficile. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le plaisir est partagé. « Je viens ici pour l’ambiance qu’il y a. On se repose, c’est une coupure dans une journée de cours, une pause en fait. Ça porte bien son nom! » Nicolas est lui aussi en BTS au lycée Eiffel. Comme Manu et leur compère Charly, qui est venu là pour la première fois parce qu’il y avait trop de monde au snack d’à côté. « C’est comme si c’était nos enfants en fin de compte», s’amuse David. Lui et sa compagne sont ainsi au courant des petits ragots du Lycée Eiffel, des petites histoires de coeur. « On aurait bien aimé avoir ce genre d’endroit quand on était jeunes! » Un genre d’endroit, où l’on trouve à l’étage une salle aménagée avec billard et baby-foot. Où les jeunes s’autogèrent en totale indépendance pendant que les gérants sont aux fourneaux. Sans caméra de surveillance, « pour responsabiliser la jeunesse, parce qu’elle peut se responsabiliser».
« On va faire comme on peut »
« Sysy (Sylvie), c’est la simplicité même, elle est vraie, franche, elle joue pas un rôle», résume Charly. Ce qui va le plus manquer à ces jeunes clients, hormis la bonhomie et la gentillesse des gérants? Pour Nicolas, c’est le panini bacon-chèvre. Manu retient les frites : « J’en ai jamais vu des aussi bonnes.» Charly, son pêché-mignon, c’est le croissant et le chocolat chaud à la pause de dix heures. Et à midi, le classique panini poulet, boisson, crèpe sucrée. « D’ailleurs, Sylvie elle se lève à quatre heures du mat’ pour les faire, les crêpes! », s’amusent les trois lurons. Tant pis, car « la Pause, ça conserve ! » s’enthousiasme la gérante.
Que feront-ils, où iront-ils, tous ces jeunes, quand leur snack fétiche sera bel et bien fermé? Manu prévoit de se faire des thermos de café quand il ne pourra plus aller en boire à la Pause Class. « On va faire comme on peut», regrettent Gaspard et Kévin, eux aussi en BTS au lycée Eiffel et clients quotidiens. « Mais on ira pas au truc d’à côté, c’est sur! »