Johan Cruyff, légende du football néerlandais, est mort à l’âge de 68 ans des suites d’une longue maladie. Le mythique numéro 14 des Oranje, de l’Ajax Amsterdam et du FC Barcelone avait élevé le football au rang d’art. Entre arabesques balle au pied et coups de sang, retour sur la carrière du “hollandais volant” en cinq moments forts.
31 mai 1972 : Le “football total” de l’Ajax sur le toit de l’Europe
A la fin des années 1960, alors que Johan Cruyff n’est un jeune espoir, les équipes italiennes dominent les débats en Europe et le style de jeu en vogue est le “catenaccio”, une tactique très défensive et peu portée sur le spectacle. L’Ajax Amsterdam fait alors son apparition. L’entraîneur Rinus Michels invente le football total, un jeu tourné vers l’attaque et qui met l’accent sur la circulation du ballon et la permutation des postes. Johnny Rep, Piet Keizer, Johan Neeskens, Ruud Krol, tous défendent et tous attaquent. Au milieu, le roi Cruyff se balade. La tornade rouge et blanc remporte trois Coupes d’Europe en 1971, 1972 et 1973. La finale 1972 à Rotterdam, dans le stade du Feyenoord ennemi, restera comme l’un des grands chefs d’oeuvre de l’artiste. Il marque les deux buts de son équipe face à la défense de fer de l’Inter Milan.
22 décembre 1973 : Le but venu d’ailleurs
En 1973, Johan Cruyff est déjà le plus grand footballeur de la planète, une des premières rock star de l’histoire du jeu. Le FC Barcelone ne s’y trompe pas en le faisant venir pour la somme astronomique pour l’époque de 2 millions de dollars. Cruyff, connu pour son fort caractère et sa grande gueule, se met tout de suite les supporters dans la poche en déclarant avoir signé pour le Barça plutôt que pour le Real car ce dernier était “soutenu par Franco”. Désormais affublé du surnom de “Salvador” (sauveur) par le Camp Nou, l’attaquant a une mission : ramener un titre de Champion d’Espagne qui échappe aux blaugrana depuis 14 ans. Chose sera faite à la fin de la saison, avec au passage une victoire écrasante 5-0 sur le terrain du Real. Mais le moment le plus marquant de cette saison 1973-1974 est sans aucun doute le cadeau qu’offre le Hollandais volant à ses supporters peu avant Noël, face à l’Atletico Madrid. Juan Manuel Asensi, son coéquipier de l’époque, racontait pour So Foot en 2014 : C’était tout simplement incroyable : on avait tous vu la balle dehors et personne ne pouvait s’attendre à ce que se passe un truc pareil. Le Camp Nou était stupéfié. Comme nous tous, ses coéquipiers.
7 juillet 1974 : La plus belle défaite
On joue la 1ère minute de jeu dans cette finale de la Coupe du Monde et, déjà, la RFA est dépassée. Cruyff vient de se débarasser de son vis-à-vis Berti Vogts, il s’est fait faucher par Uli Hoeness en pleine surface. Son compère de toujours, Johan Neeskens a transformé le penalty, les Pays-Bas mènent 1-0 et se dirigent vers le premier sacre mondial de leur histoire. Comment pourrait-il en être autrement ? Les Oranje sont le prolongement en sélection de ce qu’a réalisé l’Ajax Amsterdam en club. Même entraîneur, Rinus Michels. Mêmes joueurs aussi en grande partie. Lors des matches précédents, ils ont humilié la Bulgarie 4-1, l’Argentine 4-0, et même le Brésil 2-0 avec un doublé de Cruyff. Il est clair que les 80 000 spectateurs de l’Olympiastadion de Munich sont venus voir les leurs se faire éxécuter par la meilleure équipe du monde. Pourtant 90 minutes plus tard, Cruyff est à genoux sur la pelouse, le regard hébété. Breitner et Muller ont marqué. Franz Beckenbauer soulève le trophée. La RFA est en liesse. “Le football est un sport qui se joue à onze, et à la fin ce sont les Allemands qui gagnent”.
18 septembre 1983 : La prédiction du Maître
Johan Cruyff n’aime pas qu’on se moque de lui. A l’été 1983, il a 36 ans et la fin de carrière se profile. L’Ajax Amsterdam, qu’il a rejoint à nouveau deux ans auparavant après un exil doré aux Etats-Unis puis à Levante, refuse de renouveler son contrat. Le président pense être “capable de gagner sans lui”. Furieux, Cruyff se venge en signant chez l’ennemi juré, le Feyenoord Rotterdam, une trahison pour les supporters amstellodammois. Qui se moquent bien de lui en ce 18 septembre, alors que l’Ajax vient d’infliger une rouste mémorable au Feyenoord, 8-2. Pourtant, Johan ne s’affole pas. Dans le vestiaire, il se grille une de ses Camel favorites et rassure ses coéquipiers : “Ca va bien se passer”. A la fin de la saison, le Feyenoord réussit le doublé Coupe-Championnat. L’Ajax ne remporte aucun titre. Le boss ne se trompe jamais.
20 mai 1992 : Plus qu’un entraîneur
Coach, Johan l’était déjà du temps où il était joueur, dirigeant ses coéquipiers avec fermeté et intelligence. Rien d’étonnant à le voir, sitôt sa carrière finie, prendre en main les clubs avec lesquels il triompha en tant que joueur : l’Ajax entre 1985 et 1988, le FC Barcelone ensuite, jusqu’en 1996. En ce printemps 1992, les blaugrana se retrouvent en finale de la Coupe d ‘Europe des clubs champions face à la Sampdoria Gênes. Cruyff a bâti une équipe flamboyante, la “Dream Team”, dont les génies Laudrup et Stoitchkov sont les artilleurs. L’équipe vient d’être sacrée double championne d’Espagne et attend désormais la consécration, un premier titre européen dans l’histoire du club. Sur le banc, Cruyff est tendu, il voit ses hommes déjouer et se faire prendre au piège de la rugueuse défense italienne. Jusqu’à cette 111ème minute de la prolongation où apparaît le défenseur Ronald Koeman, lui aussi hollandais. Son coup franc surpuissant transperce les filets de Pagliuca et offre la coupe aux grandes oreilles aux Catalans. Une coupe qu’ils ont remporté à quatre reprises depuis, toujours en s’inspirant de la philosophie de jeu “cruyfienne”, le tiki-taka.