Depuis maintenant deux semaines, l’agenda des journalistes pigistes sportifs se vide inexorablement. L’annulation progressive des manifestations sportives dû à l’épidémie affecte fortement ces salariés au statut précaire.
Plus aucun match de football à la télévision, plus de rugby dans les colonnes de Sud-Ouest, Roland-Garros reporté, marathon de Paris repoussé, championnats amateurs suspendus… Avec les mesures de confinement liées à la pandémie de coronavirus, les compétitions sont annulées ou reportées les unes après les autres. Le calendrier sportif est totalement chamboulé, le désert des stades alarme autant les fans, que les pigistes qui en vivent.
En moyenne, un journaliste payé à la pige perçoit 800 euros par mois selon Jean Berthelot de La Glétais. Bien en deçà du Smic donc ! Pour l’actuel président du Club de la Presse de Bordeaux et pigiste depuis toujours, « c’est déjà compliqué en temps normal avec des paiements en général trois voire quatre mois après la prestation, mais là, c’est pire, la situation est catastrophique ».
Une vie dans la précarité
Le statut de journaliste pigiste est précaire, et c’est peu dire (ce corps représente près d’un quart des journalistes en France). Salarié, il reçoit un bulletin de paie avec ses cotisations à la fin de chaque mois. Au même titre qu’un employé en poste, lorsqu’une collaboration devient régulière, impossible de l’interrompre du jour au lendemain sans verser d’indemnités. Un pigiste a de nombreuses rédactions pour qui il écrit des articles régulièrement. Douze pour Jean Berthelot par exemple. Dans les faits, les entreprises devraient avoir des aides pour permettre aux pigistes d’être en chômage technique. En l’apparence classique, il soulève un problème, « les médias ne font pas forcément les démarches, résultat, beaucoup de pigistes se retrouvent dans une grosse galère financière ».
Le Syndicat National des Journalistes déclare à ce propos dans un communiqué du 16 mars : « Juridiquement, rien ne s’oppose à ce que les journalistes rémunérés à la pige bénéficient des dispositions spéciales ouvertes à tous les salariés. Mais il est évident qu’au vu des pratiques habituelles des employeurs, peu d’entre eux faciliteront les choses. Certains employeurs ont d’ores et déjà annoncé qu’ils n’auraient recours à ces mesures que pour les pigistes dont les revenus dépassent un certain seuil. La position du SNJ est claire : les pigistes doivent être traités comme les autres salariés ; pas question de limiter le bénéfice de ces mesures en fonction d’un seuil de rémunération. »
La presse sportive touchée de plein fouet par la pandémie
Le journal Sud-Ouest, à l’image de tous les médias français, a dû réduire drastiquement la voilure de ses pages sport. Le déclenchement a été le report de France-Irlande lors du Tournoi des VI Nations et la suspension de la Ligue 1 de football précise Frédéric Laharie, responsable du service des sports.
Dès le lundi 16 mars, le quotidien régional, qui habituellement fournit un cahier sport de seize pages, n’en a rendu que deux. En cause, la suspension de l’intégralité des championnats amateurs à travers le territoire national.
Les conséquences de ces annulations à répétition sont directes pour le canard. Au lieu de neuf journalistes aux bureaux de Bordeaux, seulement deux poursuivent leurs missions, en télétravail. Economie, droits télévisuels, bilan, ils doivent trouver de nouveaux sujets pour faire vivre la rubrique malgré l’arrêt total des compétitions. Frédéric Laharie prépare par exemple un article sur les séries et documentaires sportifs à regarder à l’écran.
Pour remédier au confinement de ses salariés, la rédaction incite les journalistes à prendre des RTT voire des congés payés sur cette période. Plus aucun CDD signé, les pigistes ne sont plus appelés. Frédéric Laharie acquiesce, non sans regrets : « C’est certain, les pigistes sportifs vont être impactés, pour l’instant nous n’avons aucune piste pour eux ; au début on leur avait demandé d’appeler les présidents et joueurs pour avoir leur ressenti mais maintenant on n’a plus de sujets ».
Traditionnellement, ces rédacteurs coopéraient avec le journal pour des matches qui avaient lieu à l’extérieur de la Nouvelle-Aquitaine. Ils traitaient principalement du basketball et de la Fédérale 1 et 2 de rugby précise le responsable de la rubrique des sports.
« Il va falloir retomber vite sur nos pattes »
Une situation dramatique pour ces salariés spéciaux, payés à la tâche. Dès le lendemain de la première allocution du président de la République, jeudi 12 mars, la profession a constaté une baisse cinglante des commandes selon Ariane Puccini. La pigiste, membre du collectif de journalistes indépendants YouPress appréhende l’avenir : « Il va falloir retomber vite sur nos pattes, mais on sent que la situation va faire mal. » Le pire pour elle, reste l’obligation de travailler dans de telles conditions, mais la situation actuel ne lui laisse pas le choix si elle ne veut malheureusement pas en pâtir davantage. « Parmi les plus précaires, nous sommes les plus exposés ; il nous faut un carnet de commandes rempli ».
Elle note aussi l’effort de certaines rédactions, principalement en télévision, qui ont maintenu le paiement jusqu’au 30 avril, pour les personnes faisant des piges à la journée, malgré de potentielles annulations ou déprogrammations. Le report de la réforme de Pôle Emploi au 1er septembre, à cause de la pandémie, « soulage » le corps professionnel selon Ariane Puccini, « il aurait été impossible de gérer les deux crises en même temps ».
Jean Berthelot souhaite insister sur la possibilité pour tous les pigistes directement touchés, de solliciter les indemnités chômage. « Dans la pratique, peu de monde le fait car c’est un peu une usine à gaz, mais là, il faut en profiter » encourage le commentateur des matches des Girondins de Bordeaux à domicile pour la radio Europe 1.
Erwan Morvan – @erwan4510 –