Quel impact l’intelligence artificielle (I.A.) aura-t-elle sur nos vies futures ? Nos gouvernements nationaux arriveront-ils à faire face au poids des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et des nouvelles plateformes émergentes ? Décryptage avec Laurent Alexandre, chirurgien, spécialiste des NBIC et auteur de « La mort de la mort » (JC Lattès).
Les Etats-Unis et la Chine sont très performants dans le domaine l’IA. En France, où en sommes nous ?
En France, nous avons des mathématiciens et des start-up numériques performantes. Cependant, il nous manque des grandes plateformes comme les GAFA américains (Google Apple Facebook Amazon) et les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi).
Il faut bien comprendre que l’IA ce n’est pas de l’informatique traditionnelle. L’IA s’éduque mais ne se programme pas comme un logiciel classique. Le facteur clef du succès de l’IA, c’est l’importance des bases de données qu’elle peut exploiter et non pas les programmes qui eux sont en open source (accès libre). Aujourd’hui, qui possède autant de bases de données ? Les grandes plateformes comme Baidu, Facebook, Google, etc. Certainement pas nos chercheurs du CNRS.
Donc nous ne sommes pas compétitifs ?
Pour faire émerger des entreprises du numériques, il faut des milliardaires, mais des milliardaires jeunes. Les milliardaires de 80 ans et plus que nous avons en Europe n’investissent pas dans les entreprises qui peuvent produire ou créer de l’IA. Aux Etats-Unis, les fortunes se font rapidement. En Europe, tout est plus lent, et les priorités sont ailleurs, à quelques exceptions près.
En matière numérique, des clusters d’innovation existent dans le monde, ce sont eux qui attirent les talents. Le principal se trouve en Californie, où le prix des ingénieurs est extrêmement élevé, mais où ils y prospèrent pourtant. Cet effet de concentration de l’intelligence est très difficile à combattre. Le principal cluster de ce type est bien entendu la Californie.
A l’époque du rayonnement de Versailles, tous les nobles voulaient s’y rendre. Aujourd’hui, la Californie, c’est le Versailles du 21è siècle. Cette concentration d’intelligence et de jeunes milliardaires provoque un effet boule de neige très important.
La Chine est également très compétitive dans le domaine de l’IA. Comment l’expliquer ?
La Chine possède également des plateformes (les BATX). Dans ce pays, il y a une vraie volonté politique. La Chine n’est pas au niveau des Etats-Unis, mais est loin devant l’Europe.
Nous raisonnons à 15 jours, la Chine raisonne à 50 ans, et la Silicon Valley à 1000 ans. La Chine est également mue par une volonté impérialiste, que l’Europe n’a pas de toute évidence. L’Europe est larguée, il n’y a aucune prise de conscience de la part des dirigeants.
La régulation joue un rôle important : en Europe, les questions d’éthique sont très régulées. Cet excès d’éthique freine toutes les innovations. Aux Etats-Unis, ils ont les GAFA, en France, nous avons la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés). Elle fait évidemment un important travail, mais à trop réguler, la France va devenir une colonie numérique.
Qu’est-ce qui est nécessaire pour arriver à « travailler » avec l’IA et en exploiter le potentiel ?
Dans le travail avec l’IA, il faut distinguer deux étapes : sa production et son utilisation. L’Europe a pris un retard monstre sur la création d’IA. A l’avenir, des problématiques de contrôle de l’IA vont se poser. L’IA va devenir un service public, comme l’électricité ou l’eau. Il faudra faire en sorte que les fabricants d’IA soient contraints d’en fournir au plus grand nombre, comme l’eau ou le gaz. Tout le monde devra y avoir accès, sous peine de créer de graves inégalités entre ceux qui y ont accès et les autres.
Aujourd’hui, ceux qui contrôlent ces plateformes d’IA sont ceux qui contrôlent le monde. L’IA donne un avantage très fort à ceux qui la possèdent. D’ailleurs, ne parle-t-on pas d’une candidature de Mark Zuckerberg aux prochaines élections aux Etats-Unis ?
Le monde de demain connaîtra l’émergence de nouvelles inégalités. Biologiques d’une part, entre les personnes intelligentes et les autres, mais aussi entre ceux qui auront accès ou non à l’IA.
Nous changeons de civilisation : Les politiques ne réalisent pas ! https://t.co/swCQvPsKa8
— Laurent Alexandre (@dr_l_alexandre) 27 mars 2017
La start-up d’Elon Musk, « Neuralink » propose d’implanter des puces dans le cerveau pour en augmenter les capacités…
Cela nous emmène à un troisième type d’inégalités : ceux qui auront des puces dans le cerveau, et les autres. Cela pourrait générer un déséquilibre incroyable, entre ceux qui auront un cerveau augmenté et les autres. L’encadrement du « neuroenhancement » va devenir un des principaux enjeux du 21è siècle.
L’Europe est-elle pénalisée par un manque de volonté politique ?
Nos responsables politiques sont dépassés par la révolution technologique. Ils raisonnent comme dans les années 1980, et pensent que l’IA est un programme informatique traditionnel. Lors de mon audition au Sénat, j’ai eu sincèrement envie de pleurer. Le rapport France Intelligence Artificielle est à côté de la plaque, il cerne mal les problématiques actuelles.
Elie Abergel