Le viol est utilisé comme une arme de guerre. C’est le cas dans l’Est de la République Démocratique du Congo, dans le Kivu. Céline Bardet, juriste internationale, commente les avancées et les obstacles qui subsistent encore dans le travail de la justice internationale sur ces crimes.
La RDC a été en guerre de 1998 à 2003 mais aujourd’hui, le Kivu, au nord-est du pays, est toujours une zone de conflit. Les viols ont été et sont encore nombreux. Le nombre de femmes violées depuis 1998 est estimé à 200 000. Qu’est-ce-qui singularise le viol en temps de guerre ?
Le Nord Kivu est toujours en guerre du fait de la question épineuse des minerais et tant qu’elle ne sera pas résolue, le conflit en RDC continuera et la violence et l’utilisation des viols continueront. Le viol est utilisé comme arme parce qu’il est devenu un outil de terreur pour les populations et surtout un outil qui vise à détruire totalement le tissu social et donc les communautés qui, soit fuient les zones de conflit, ou soit sont réduites à néant.
Le viol ne concerne pas que les victimes directes, il a un impact sur toute la famille et la communauté sociale. Ces viols ne répondent pas à des pulsions sexuelles comme on peut l’entendre souvent. Ils sont commis souvent devant les familles, voire devant tout le village. En cela, il a un but précis, pas seulement de violer une personne mais de créer une terreur. Enfin sur le Kivu, les femmes sont visées en ce que la fécondité est un pilier fondamental de la société congolaise. Violer les femmes, les rendre incapables de donner la vie en détruisant leurs organes génitaux est une stratégie claire qui va bien au-delà du ‘simple’ viol. C’est une arme, et elle est silencieuse, très efficace et utilisée en masse.
En 2001, le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie a qualifié l’utilisation du viol en temps de guerre de crime contre l’humanité. En 2008, le Conseil de l’ONU a reconnu le viol comme arme de guerre. Quelle est la valeur de telles avancées ?
Il y a deux jours, la Cour Pénale Internationale dans une décision historique a condamné Jean Pierre Bemba pour crimes contre l’humanité, y compris pour avoir ordonné l’utilisation de viols en Centrafrique entre 2001 et 2003. Sa responsabilité de commandement a donc été reconnue aussi dans la question de l’utilisation du viol.
Mais le viol de guerre n’est pas reconnu comme crime contre l’humanité, il en est un élément constitutif au même titre que le meurtre, la torture ou le pillage et c’est cela qui est essentiel. Il est crucial que l’utilisation du viol en temps de conflit soit mise au même niveau que n’importe quel autre élément constitutif de ces crimes internationaux : meurtre, pillage, torture. Ces décisions internationales, et notamment celle de la Cour Pénale Internationale, permettent enfin de redonner une dignité aux victimes mais aussi de faire la lumière sur les viols alors que ces sujets restent étonnamment toujours tabous. L’avancée de la justice pénale internationale sur ces questions est cruciale mais elle ne suffit pas.
Comment la justice pénale internationale peut alors renforcer son action et pallier ses « lacunes » ? Un meilleur appui sur la justice et des structures locales peut-il y contribuer ?
La justice pénale internationale doit améliorer la qualité de ses enquêtes et développer un travail sur le terrain. Ensuite, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide ne sont pas l’apanage de la justice pénale internationale et là aussi il y a un vrai travail de sensibilisation à faire. Depuis des années j’essaie de le faire et de dire qu’il faut absolument travailler avec les autorités locales, pour renforcer les structures des institutions judiciaires locales mais aussi renforcer le pouvoir des victimes, leur redonner un pouvoir en leur donnant une voix, en les informant de leurs droits et en les accompagnant dans leurs démarches judiciaires et autres. C’est la raison pour laquelle j’ai créé, il y a deux ans, en France We Are NOT Weapons of War.
Comment les personnes violées parviennent-elles à se reconstruire ? Surtout, lorsqu’il n’y a pas de condamnation ?
J’ai toujours dit que la condamnation ou le processus judiciaire est non pas un aboutissement comme on le pense souvent mais un point de départ. Il faut parvenir aussi à distinguer et séparer la question de la condamnation de celle du procès. Un procès qui se tient donne une position aux victimes en ce qu’elles sont reconnues en tant que victimes dans le processus et ceci en soit est déjà énorme et joue un rôle fondamental pour les victimes et pour leur reconstruction.
Ensuite la reconstruction demande du temps, du soutien mais dépend aussi de chacun et de chacune. Je rencontre et passe du temps avec de nombreuses victimes en Bosnie, au Rwanda, en RDC, au Zimbabwe, en Libye et autres et chaque cas diffère, il y a des femmes qui vivent des choses monstrueuses et se retrouvent aussi avec des enfants issus des viols et parviennent à mettre en place un pouvoir de résilience impressionnant. Il y a d’autres femmes, notamment en Syrie et en Libye, qui ont beaucoup de mal. Il y a beaucoup de suicides dont on ne parle pas.
La justice, à ses différentes échelles, a un rôle à jouer pour faire évoluer la situation. La volonté politique est elle aussi importante. Dans quelles mesures la mobilisation citoyenne peut-elle contribuer à faire bouger les lignes ?
Je suis juriste, très attachée au processus judiciaire, mais au fur et à mesure j’ai commencé à comprendre que justement la mobilisation était essentielle. L’information déjà est essentielle. La campagne I am NOT a Weapon OF War est un gros succès et c’est tant mieux, c’est une façon pour les gens de dire : je suis en France ou à New York, mais je suis debout à côté de vous. C’est très important pour les victimes de savoir qu’elles ne sont pas seules. Elles demandent juste du soutien et elles demandent justice et de pouvoir reprendre leur vie sans être stigmatisées.
Le viol comme arme de guerre en République Démocratique du Congo :
Propos recueillis par Aurore Richard