Oublier son cancer. Plus qu’un besoin, un deuxième combat pour les patients qui ont réussi à vaincre la maladie. Sur le ring : les compagnies d’assurances, les banques et le gouvernement.
« L’antenne locale de la Ligue a signé une convention avec le barreau de Bordeaux depuis un an et demi. Tous les mois, on organise un café juridique entre avocats et patients », explique Sylvie Gazal, responsable communication pour la Ligue contre le cancer. En cause, une demande croissante des patients fréquentant les locaux de l’association du 6 rue Terrasson, soucieux de s’informer sur le retour à l’emploi, l’assurabilité et depuis peu, le droit à l’oubli.
Un concept ambitieux… et utopiste?
« Le casier judiciaire cancer » : pour ces anciens malades présents dans les locaux de la Ligue contre le cancer des Bordeaux, le terme est approprié. Un cancer qui les suit en général toute leur vie. Il faut constamment le déclarer, à sa banque, son assurance… En cause, le problème de la récidive. Un ancien malade présente un risque d’insolvabilité, qui entraîne souvent des surprimes. Celle-ci peut représenter plusieurs centaines d’euros par mois et décupler le prix de l’assurance.
Le droit à l’oubli, si il est présent depuis longtemps dans les discours des associations de patients, n’est apparu qu’en février 2014 dans l’agenda politique. François Hollande l’intègre au troisième plan cancer, déclarant alors en grande pompe : » Le temps est venu d’instituer un véritable droit à l’oubli. Il s’appliquera à ceux qui, enfants ou adolescents, ont vaincu le cancer, ainsi qu’à tous les autres malades dont les données de la science nous disent qu’ils sont guéris. » Tout un programme. Les associations se réjouissent et des milliers de malades se prennent à espérer de pouvoir enfin laisser le cancer derrière eux. Le réveil sera brutal.
Négocié entre les assureurs, les associations et l’Institut national du cancer (Inca), l’avenant de la convention Aeras (s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) de 2007 a été intégré dans la loi Santé votée en décembre au Parlement. Les mesures proposées laissent sceptiques : le droit de ne pas déclarer un cancer survenu avant la demande du prêt ou de l’assurance ne s’applique pas à tous. Les mineurs doivent attendre cinq ans après la fin du protocole thérapeutique et les majeurs, dix ans. » On a mis en place des mécanismes pour baisser les surprimes d’assurances. Ça reste des avancées importantes, mais les conditions d’acceptation ne sont pas très larges. La convention n’est pas encore très aboutie « , reconnaissent Judith Raffy et Margaux Bouchard, avocates participant aux cafés juridiques.
Une marge de manœuvre très réduite
Emmanuelle Gérard-Depre, avocate à Bordeaux et administrative au sein de la Ligue contre le cancer, ne mâche pas ses mots : » Ce qu’à fait le gouvernement, c’est un effet d’annonce, c’est de la comm. Il n’y a pas de réelles avancées pour les malades. En pratique, ils se retrouvent toujours face à des refus. On n’a pas encore réussi à trouver des solutions pour faire face aux lobbys des compagnies d’assurances qui font la pluie et le beau temps à Bercy « . Comme c’est souvent le cas dans le domaine de l’assurance, les conditions d’acceptations, le fameux astérisque qui nous mène aux petites lignes en bas de page, réserve des surprises.
Le jeu du chat et la souris
» Quand une personne en est à un stade avancé d’un cancer, on ne va pas lui prêter des milliers d’euros. Je ne les défends pas mais pour les assureurs c’est logique « , assène de son côté Philippe Moreau, médecin généraliste sur Bordeaux. S’ensuit alors un véritable jeu du chat et de la souris, entre les patients tentés de cacher leur condition et les assurances. » La compagnie va rechercher le moindre faux pas pour faire un refus de garantie: vous n’avez pas déclaré une opération pour une hernie discale il y a des années? On vous refusera la prise en charge pour votre cancer qui n’a rien à voir avec cette dernière. « , déplore Emmanuelle Gérard-Deprez.
Le parcours de guérison des patients semble ressembler davantage à un parcours de saut d’obstacles qu’à un long fleuve tranquille. Une double peine pour les malades, qui cumulent soucis de santé et problèmes financiers et personnels inhérents au diagnostic du cancer.
Quand à l’avenir du droit à l’oubli, les représentants du barreau restent sceptiques. » N’oublions pas qu’il peut se passer des mois, voire des années avant qu’une loi ne soit appliquée. C’est un bras de fer avec les compagnies d’assurances. », assure Emmanuelle Gérard-Deprez, désabusée. » C’est le pognon qui mène le monde. Les assureurs ont un pouvoir monstrueux et font beaucoup de lobbying. Et comme le cancer et le quotidien des malades ce n’est pas glamour, on n’en parle pas. En dehors des semaines de sensibilisation, c’est un sujet tabou. «
Les concernés eux, espèrent encore. Oublier. Simplement. Sans grilles, sans exception, sans délai. Laisser le cancer derrière eux, faire des projets, ne pas se faire renvoyer leur condition passée ou présente à la figure à chaque occasion. Car s’ils veulent emprunter, acheter une maison, construire un projet, c’est pour se rappeler qu’ils ont vaincu la première cause de mortalité en France. Se rappeler qu’ils sont toujours vivants.