Quand on tend l’oreille, les cris de joie des supporters des Girondins de Bordeaux résonnent encore dans le Parc Lescure. Le 19 mars 1996, les Girondins de Bordeaux créent l’exploit. Celui de battre le grand Milan AC sur le score de 3-0 en match retour de la Coupe UEFA, après une défaite 2-0 à l’aller, et de se qualifier pour les demi-finales de la compétition. 20 ans après, retour sur un match historique.
70ème minute de jeu, Zinédine Zidane récupère la balle à 26 mètres du camp adverse, après une passe ratée. Le ballon revient dans ses pieds comme une seconde chance. Sans contrôle, il s’arrache et délivre une passe du bout du pied à Christophe Dugarry. Placé à l’entrée de la surface légèrement à droite, l’attaquant français formé au club, déjà auteur d’un but dans le match, tire sans contrôle…3-0. Le Parc Lescure entre en ébullition. Derrière leur micro le commentateur de Canal + Philippe Bruet et Michel Platini n’en croient pas leur yeux. « Faut-il se pincer Michel ?! », s’exclame Philippe Bruet. Le match se termine sur ce score inespéré. L’exploit est réalisé, Bordeaux se qualifie en écrasant la meilleure équipe du monde de l’époque le Milan AC.
« On savait que cela relèverait de l’exploit », raconte vingt ans plus tard l’entraîneur franco-allemand Gernot Rohr, assis sur le banc girondin le 19 mars 1996. En effet, à quelques jours de la rencontre, les statistiques ne sont pas favorables au Football Club des Girondins de Bordeaux (FCGB) et de son capitaine Bixente Lizarazu : à la peine en championnat, avec une triste 14ème place, les Marine et blanc sont défaits 2-0 par le Milan à San Siro au match aller. Les coéquipiers de Zinédine Zidane ont besoin de marquer au moins trois buts pour se qualifier.
Du café du coin aux plus grands spécialistes du ballon rond, personne ne donne cher de la peau des Girondins. Personne, sauf eux et leurs supporters. « Les joueurs y croyaient et croyaient en eux. Ils savaient qu’ils pouvaient le faire », assure Gernot Rohr. Pierre Labat, superviseur des adversaires et recruteur du club à l’époque, lui, se rappelle de ses discussions avec certains joueurs. « Je savais que le groupe pouvait se transcender, mais il fallait avoir des mots positifs spécifiques pour chacun d’entre eux. Zidane en est le parfait exemple. C’est le surdoué qui doute beaucoup et qui devait être mis en confiance ».
Alors pour s’éloigner de toute cette pression et alimenter cette confiance, quelques jours avant le match, Gernot Rohr emmène ses hommes se promener à la plage et manger des huîtres au Cap Ferret. L’entraîneur y voit même un signe précurseur à leur exploit. « C’est ce jour là que je trouve cette fameuse perle dans une huître. Je me suis dit que les Dieux du stade étaient avec nous », confesse-t-il sourire aux lèvres.
Un exploit palpable
Arrive le jour J. Sous le flash des photographes, la constellation de stars milanaises débarque à Bordeaux : Paolo Maldini, George Weah, Franco Baresi, Roberto Baggio, Marcel Desailly… « La veille du match, par un concours de circonstances, j’ai dû amener de l’eau aux Milanais, je les ai vu s’entraîner…c’était impressionnant ! », raconte « Pierrot » Labat. Mais surtout « j’ai toujours en tête leur arrivée au stade, on les sentait hautains, avec une attitude suffisante », se remémore-t-il, toujours avec sa casquette FCGB vissée sur la tête. Mais si les stars sont du côté du Milan AC, c’est bien l’effectif girondin qui va briller ce soir là.
Quelques heures avant le début de la rencontre, les joueurs bordelais concentrés comme jamais, partent à la reconnaissance du terrain et en profitent pour prendre la température du stade. Une ambiance de folie, du jamais vu. Lescure est en feu alors que le match n’a même pas commencé. Bixente Lizarazu en a les larmes au yeux. Face à lui, des supporters déchaînés, animés par une ferveur extraordinaire.
« Deux heures avant le début du match, tous les supporters étaient déjà là », raconte le porte-parole du groupe de supporters Ultramarines Romain Manci, présent également au match aller à Milan. « L’atmosphère était particulière, on sentait qu’il allait se passer quelque chose de spécial, d’historique ». Gernot Rohr confirme. « J’étais à Bordeaux depuis 20 ans, je n’avais jamais vu Lescure dans cet état. Même depuis l’hôtel aux Chartrons, il y avait du monde dans la rue pour nous soutenir ! »
Les aiguilles de l’horloge tourne. La pression monte, les battements de coeur s’accélèrent dans le vestiaire girondin. Les regards sont concentrés, les consignes sont claires. « Je leur ai dit d’être offensifs et engagés à 100 % sur toutes les actions », se rappelle l’entraîneur. Les Girondins se jettent d’entrée dans la bataille. Engagement, agressivité, intensité tout y est.
Et dès la 14ème minute de jeu, après une lumineuse accélération sur son côté gauche, Lizarazu centre pour Didier Tholot, placé au deuxième poteau, qui marque avec beaucoup de réussite et montre la voie. « Si je dois retenir un souvenir de ce match, c’est le but de Didier Tholot. C’est l’élément déclencheur », assure en hochant la tête « Pierrot » Labat, assis dans un des fauteuils rouge bordeaux du château du Haillan, au centre d’entraînement des Girondins.
Les minutes défilent et les Milanais sont dépassés sur chaque accélération, en retard sur tous les ballons, battus dans les duels. L’arbitre turc de la rencontre Ahmet Çakar siffle la mi-temps, pour le plus grand plaisir des Rossoneri. Après 45 minutes, le coach maintient la motivation de son groupe, donne pour consigne de continuer à se projeter vers l’avant.
Les Marines et blancs continuent de pousser en revenant sur le terrain, l’exploit est de plus en plus palpable. Les joueurs le sentent. Comme Daniel Dutuel, remplacé à la 62ème minute, attaqué par les crampes tant le match est intense. « On est près de l’exploit », affirme-t-il en reprenant son souffle au micro d’Eric Besnard. 42 secondes plus tard, Christophe Dugarry marque le deuxième but. Un coup franc excentré sur le côté gauche de Zidane, dévié par le dos de l’arbitre, arrive droit sur Dugarry qui reprend du pied gauche en pivot. Gernot Rohr avait raison, les Dieux du stade étaient sûrement avec les Girondins ce soir-là.
Vient la 70ème minute et le troisième but marqué par Dugarry sur cette passe de Zizou. Il reste 20 minutes. Une éternité pour les Bordelais. « C’était long, très long », avoue Gernot Rohr. « Mais heureusement que l’on avait notre douzième homme, le public ». Jusqu’à la dernière minute, les supporters chantent comme un seul homme. 92min57, l’arbitre Ahmet Çakar sifflet à la bouche regarde son chronomètre : coup de sifflet final. Ca y est, l’exploit est réalisé. Bordeaux exulte.
Un match gravé dans les mémoires
« C’est le match du siècle à Bordeaux », affirme tout simplement l’entraîneur franco-allemand Gernot Rohr, assis sur le banc girondin ce soir-là.
« A la fin du match, le maire de Bordeaux Alain Juppé m’a dit ‘je suis amateur de football depuis aujourd’hui' », raconte l’ancien entraîneur girondin Gernot Rohr
Pour Romain Manci, « c’est sans conteste l’un des plus grands matches de l’histoire du club ». Pierrot Labat parle, lui, du « match phare ». Deux décennies plus tard, les avis sont unanimes : ce match est historique. Et ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, ce n’est pas le maillot de la saison 2008/2009, année du dernier titre du FCGB, qu’on retrouve dans les rayons de la boutique officielle du FCGB mais celui de l’année 1995/1996. « C’est mon plus beau souvenir en tant qu’entraîneur », confesse Gernot Rohr dont on peut entendre l’émotion dans la voix, lui qui est d’habitude peu émotif.
Le 19 mars 1996 a eu lieu un match de légende, gravé dans l’histoire des Girondins de Bordeaux. Dans l’histoire du football français même. A tel point qu’on en oublie qu’il ne s’agissait « que » d’un quart de finale de Coupe UEFA. Gernot Rohr en sautant de joie lors du troisième but perd sa fameuse perle. « Elle aura servi au moins un match », s’amuse-t-il à raconter. Bordeaux-Milan AC : plus qu’un match, un exploit.