Une lueur d’espoir s’est allumée lundi 28 février pour les salariés de l’usine Ford de Blanquefort depuis que le plan social a été rejeté par la direction du travail. Le constructeur américain a désormais deux semaines pour présenter un plan de reclassements plus satisfaisants. Ce qu’il fera sans aucun doute, puisqu’il tente de se débarrasser de cette usine depuis 10 ans, et qu’aucune disposition juridique ne peut l’en empêcher. Entretien avec Gilles Auzero, maître de conférences à l’université de Bordeaux, directeur du master 2 Droit du travail et de la protection sociale, et directeur adjoint de l’École Doctorale de Droit.
Ford désire fermer l’usine de Blanquefort alors que l’entreprise fait beaucoup de bénéfices, est-ce permis par la loi ?
GA : Du point de vue juridique, il y a une différence nette entre un plan de licenciement d’une entreprise qui éprouve des difficultés financières et celle qui souhaite optimiser ses revenus. Dans le premier cas, ce sera le Droit des entreprises en difficulté qui s’appliquera, dans le cadre de la cessation du paiement. Cette situation est associée à une procédure collective très encadrée par la justice. Pour l’usine Ford, qui correspond au second cas de figure, c’est une décision de fermeture qui arrive tous les jours en France. Elles ne sont pas toutes aussi visibles que Blanquefort mais des entrepreneurs pour des raisons diverses mettent souvent la clef sous la porte alors que l’entreprise est viable. Ce n’est nullement interdit. Des contrôles peuvent s’exercer, en cas de faute et de légèreté blâmable, mais dans cette affaire rien ne peut contraindre Ford. Non, malheureusement. Enfin ça, c’est le capitalisme.
Quels recours juridiques existent une fois que l’actionnaire décide de fermer l’usine ?
GA : Dans ce cadre, c’est la plupart du temps un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) qui est mis en place, et souvent la messe est dite. Le PSE, c’est pour accompagner les ruptures de contrat de travail, même si dans un premier temps il y a une obligation de rechercher un repreneur. En tout état de cause il n’y a aucune obligation de céder in fine, même si un repreneur a été trouvé. Les gens font ce qu’ils veulent, Ford fait ce qu’il veut, jusqu’à preuve du contraire ils ne sont pas du tout obligés de céder leurs activités. Il y a souvent beaucoup de paramètres à prendre en compte dans ce genre de cas. On ne peut pas s’en tenir au discours « il y a une offre de reprise, il faut l’accepter », c’est trop simpliste. (Dans le cadre de Blanquefort, la difficulté du dossier est que le repreneur Punchne peut pas installer son activité avant 2022, ce qui pousserait Ford à continuer de faire tourner l’usine trois années supplémentaires)
Activer un PSE en disant vouloir trouver un repreneur derrière, est-ce une forme d’hypocrisie ?
GA : Pas forcément, dans le PSE il y a un volet de reclassement interne et une volet de reclassement externe. Il n’est donc pas fondamentalement incompatible avec une reprise. Et dans le cas de Ford ils ont entrepris une sérieuse recherche de repreneur. Encore une fois il n’existe pas d’obligation de reprise. Dans notre pays on ne peut pas obliger un entrepreneur à trouver un successeur lorsqu’il souhaite cesser son activité. Ce serait un obstacle à la liberté d’entreprendre, qui est un droit fondamental garanti par la Constitution. L’État peut vouloir nationaliser entre temps, mais cela ouvre la porte à un interventionnisme que le pouvoir en place veut éviter au maximum. Même si dans un cadre légal c’est possible, et que cela s’est produit par le passé (reprise transitoire par l’État des chantiers navals de Saint-Nazaire à la société STX), cela irait à l’encontre de toutes les orientations du gouvernement actuel.