On ne présente plus Snapchat, cette application permettant un partage de photos et de vidéos éphémères. Mais lorsqu’en février dernier Snap lance sa nouvelle version du Discover, de nombreux utilisateurs ont manifesté leur colère et ont commencé à déserter le réseau social. Entre contenus sponsorisés trop présents et manque de visibilité des « stories » privées, Snapchat est sur la pente descendante…
Le constat est terrible pour le réseau social au petit fantôme. Les dernières modifications de Snapchat ont poussé des utilisateurs influents à se tourner vers le concurrent Instagram, qui a lancé en 2016 un système de « stories » similaire. Lorsque Kylie Jenner, petite dernière des sœurs Kardashian, a tweeté pour expliquer qu’elle n’utiliserait plus le réseau social, cela a provoqué une chute de 6 % des actions de Snap.Inc, soit une perte de 1,3 milliard de dollars.
Pourtant, avec ses 158 millions d’utilisateurs à travers le monde, dont 10 millions en France, Snapchat avait fait son trou dans l’univers des réseaux sociaux. Mais depuis quelques semaines, l’application connaît des jours difficiles. Ce désamour a débuté à la fin de l’année 2017, quand la maison-mère de Snapchat décidait de changer radicalement son interface.
Même des utilisateurs anonymes ont manifesté leur colère. Plus de 1,25 million de personnes ont déjà signé une pétition pour un retour à l’ancien design. Une pétition, qui remet en cause l’interface dans sa généralité, mais surtout la présence d’un nouveau Discover qui ne correspond pas du tout à l’esprit original de Snapchat. Pour Laurence Allard, sociologue des usages numériques et chercheuse à l’IRCAV, cette pétition a une valeur litigieuse : « Je ne sais pas si cette pétition est orchestrée. Mais je constate que de jeunes enfants, qui ne sont pas politisés et pas totalement ouverts au monde, sont signataires. Donc c’est assez troublant. »
WTF ce Discover ?
L’idée originale était louable. Dans une vidéo diffusée sur le compte YouTube de Snapchat, le co-fondateur, Evan Spiegel, explique que ses motivations étaient de combiner un accès pratique à l’information et l’échange direct avec nos amis. Mais à y regarder de plus près, le Discover s’est tout bonnement transformé en un gigantesque catalogue de stars pour adolescents. Les « stories » mises en avant sont celles de stars de la télé-réalité, vendant des parfums ou autres produits de beauté pour des marques. Après une démonstration faite face caméra, les personnalités invitent les utilisateurs à profiter de promotions soit-disant exceptionnelles ou de glisser vers le haut pour découvrir le catalogue complet.
La plupart de ces contenus sont loin du bricolage amateur. De nombreuses personnalités telles que Nabilla, Matthieu Delormeau ou Clara Morgane sont sous contrat avec Shauna Events, une société d’influenceurs issus de la télévision. L’entreprise se définit comme une société de « business model innovant, travaillant sur la création de contenus originaux pour les plateformes digitales ». En octobre 2017, l’émission Complément d’enquête avait d’ailleurs consacré un reportage sur les pratiques de ces agences sur les réseaux sociaux.
Selon Laurence Allard, la mise en avant des « stories » naît de la guerre économique qui se joue entre les réseaux sociaux : « Il y a une recherche de revenus qui est assez urgente. Snapchat et les stars de la télé-réalité ce n’est pas une nouveauté. Ce que les utilisateurs dénigrent, c’est l’affichage forcé de certaines “stories”. On était sur un contenu entièrement géré par des utilisateurs, et aujourd’hui l’application agit avec des prescriptions, comme un média d’édition tel que YouTube. Tout le monde essaie de comprendre la stratégie de Snap. Mais si on attend qu’il devienne un vrai média, la promesse ne sera jamais tenue. »
Du côté des médias d’information, l’implantation dans le Discover est une aubaine. Olivier Laffargue, journaliste au pôle Snapchat du Monde, relativise sur la place de ces « stories » au milieu des contenus d’information : « On est mêlés à tout cela parce que la nouvelle interface de Snapchat a tout fusionné. Mais si on reste vraiment sur le Discover pur, Snap réussit à proposer une offre de kiosque diverse et conséquente. Le mélange aux « stories users » ne pose pas forcément souci, car à la base les gens ne vont pas sur Snapchat pour s’informer. Notre but est dire que ça peut être cool d’ouvrir nos stories pour apprendre des choses. Notamment auprès des moins 25 ans ! »
Ce changement de modèle entraîne d’autres problématiques, plus délicates, d’ordre éthique. De nombreux comptes spécialisés dans les paris sportifs s’installent sur Snapchat et n’existent qu’à travers le réseau social. De nombreuses campagnes publicitaires apparaissent même à la télévision, vantant les mérites des paris 100% sûrs et uniquement dévoilés sur Snap. Laurence Allard alerte sur ces nouvelles pratiques : « C’est d’autant plus problématique qu’elles se font par l’intermédiaire du mobile, un objet qu’on peut perdre ou dont on peut débloquer le verrouillage. Ce sont des interfaces « mobiles only », avec une autre culture technique qui pourrait être exploitée par de gens malveillants. Disons qu’une application de messagerie, étant multi-fonctionnelle, développe plus d’arnaques. »
Un futur MSN Messenger ?
Vue la trajectoire que prend Snapchat ces dernières semaines, difficile de ne pas imaginer que ce réseau social soit simplement un phénomène de mode. Au début des années 2000, un site comme Myspace ou la messagerie MSN Messenger étaient considérés par de nombreux spécialistes comme l’avenir des plateformes numériques. Aujourd’hui, Myspace a perdu la quasi-intégralité de ses membres, et la connexion au service de messagerie de Windows est désormais impossible depuis le 1er mai 2013.
Snapchat peut-il connaître le même destin ? Laurence Allard n’écarte pas cette hypothèse : « C’est possible. Les services, les marques meurent… Mais ça aura permis la création d’interfaces, de techniques (selfie, modèle transversal), d’imposer une culture. Les usages disparaissent avec les services. Le passage de Snapchat à Instagram, avec cette duplication des services numériques, est intéressante à observer. »
Pour le journaliste Olivier Laffargue, prédire la disparition de Snapchat est beaucoup trop précipité. D’ailleurs, d’autres médias d’information rejoignent progressivement le nouveau Discover : « La migration vers Instagram n’est pas inquiétante pour notre pôle. Le problème est surtout du côté de Snapchat, mais les vrais utilisateurs sont fidèles et l’appli aura encore de beaux jours devant elle. L’offre devrait évoluer : il y a eu une deuxième vague, avec Society ou L’Express, et on attend une troisième vague, qu’on découvrira comme vous, sur nos téléphones. »
Tout n’est donc pas perdu pour Snapchat. Malgré les protestations, les téléchargements de l’application restent stables. Selon Sensor Tower, une application d’analyse de données, Snap a même connu une hausse des téléchargements de 55%, et ce une semaine après les changements de design. Cette augmentation représente 322 000 installations supplémentaires par rapport à la semaine du lancement de la nouvelle mise à jour.