Le 7 avril prochain, le prix Montaigne de Bordeaux sera remis à Philippe Sands pour Retour à Lemberg. Un ouvrage qui, comme tous ceux récompensés par ce prix, transmet des valeurs d’humanisme, de liberté et de tolérance.
Bordeaux ville du vin, ça, tout le monde le sait. Mais Bordeaux, ville du livre ? C’est moins évident… Pourtant, en 2003 la ville renforce sa position de place culturelle nationale et internationale, en alliant les deux. Livre et vin sont associés, comme deux cépages, pour donner naissance à un nouveau grand cru. Un prix littéraire qui porte le nom du philosophe bordelais Michel de Montaigne.
En ne récompensant que des essais littéraires, et non des romans ou nouvelles, le prix Montaigne fait écho au travail de celui dont il porte le nom. Dans ses Essais, entamés en 1572 et sans cesse retravaillés jusqu’à sa mort en 1592, Montaigne explore les profondeurs de son âme et développe la pensée humaniste. Une valeur que le prix récompense chaque année, comme l’explique Claire Andries Roussennac, directrice des affaires culturelles à la mairie de Bordeaux et membre du jury : « le prix a été créé par la mairie et l’Académie du vin, avec l’idée de rendre hommage à l’esprit d’humanisme de Montaigne ».
Grands crus pour grandes oeuvres
Montaigne, maire de Bordeaux de 1581 à 1585, a également contribué au rayonnement de la ville. Une ouverture qui, aujourd’hui, repose grandement sur sa filière viticole, dont la renommée à l’échelle planétaire n’est plus contestable. Pour Claire Andries Roussennac, le prix « joue sur l’image mondiale de Bordeaux vis-à-vis du vin, pour associer l’esprit d’humanisme au rayonnement de la filière viticole ». C’est pourquoi, dès 2003, l’Académie du vin de Bordeaux s’implique dans le projet. Alors que la plupart des prix littéraires récompensent les auteurs par une dotation financière, ici elle est plus enivrante. Le lauréat reçoit un lot de vingt caisses de grands crus bordelais. De quoi arroser dignement la récompense.
Philippe Sands, prix Montaigne 2018
Chaque année, avant de remettre le prix, le jury détermine avec son président, le journaliste Alain Duhamel, un corpus d’essais littéraires. Cette année, après délibération du jury, c’est Philippe Sands qui sera récompensé, pour son ouvrage Retour à Lemberg (éditions Albin Michel). Claire Andries Roussennac, qui en tant que membre du jury a assisté au délibéré, admet que les débats ont « rapidement convergé vers l’oeuvre de Philippe Sands qui est un vrai écho à celle de Montaigne par les thèmes qu’elle aborde ». Elle confie qu’à titre personnel, cet essai l’a « particulièrement touchée par son lien entre la grande histoire et l’histoire personnelle de l’auteur ».
Dans un témoignage en 500 pages, Philippe Sands, avocat franco-britannique, professeur de droit, spécialisé dans la défense des droits de l’homme, revient sur l’histoire de son grand-père. Ukrainien, il a fui sa ville natale et a échappé ainsi à l’Holocauste qui décima sa famille. Au centre de l’oeuvre une ville : Lemberg. Celle où son grand-père est né. Celle où les deux juristes qui ont théorisé le « crime contre l’humanité » et le « génocide » ont étudié le droit. Celle aussi où Hans Frank, haut dignitaire nazi, proclame en 1942 la mise en place de la « solution finale ». Coïncidence ? C’est ce que Philippe Sands démêle dans cet ouvrage, qu’il décrit comme « une sorte de double histoire de détective ». Il retrace l’histoire de son grand-père en la mêlant à une réflexion bien plus universelle sur le pouvoir et le devoir de la mémoire.
Philippe Sands raconte les origines de Retour à Lemberg – crédit : Librairie Mollat
Retour sur les précédents lauréats
Régis Debray, Jean-Pierre Le Goff, Pierre Nora, Mona Ozouf, Laurent Fabius ou encore Elie Barnavi … Depuis 15 ans ils sont nombreux a avoir été récompensé par le prix Montaigne pour des essais littéraires sur des thèmes extrêmement variés, mais ayant tous en commun leur réflexion humaniste.