Du 1er au 8 avril se tiendra à Bordeaux la quatrième édition du festival Musical Ecran qui met à l’honneur les documentaires musicaux. A travers ces dix films français et étrangers, les musiques se racontent en images, sur fond de crises sociales. Imprimatur a demandé à Bertrand Burgalat, fondateur du label Tricatel, et membre du jury cette année, pourquoi le documentaire musical se la joue toujours aussi transgressif.
Cette année, la sélection de documentaires proposent un savant mélange de revendications sociales (Yallah Underground), de provocation (Laibach: Liberation Day) et d’addictions (Spit’n’split: The experimental Tropic Blues Band). Pensez-vous que ces éléments soient indispensables pour un bon documentaire musical ?
Bertrand Burgalat : En réalité, ce n’est pas indispensable. On a trop tendance à ramener certains styles musicaux, comme le rock, à des clichés, à des trajectoires chaotiques. L’écueil, est de représenter la déchéance à travers les excès des autres. Le groupe slovène Laibach est loin de faire de la provoc’ gratuite, par exemple.
Les meilleurs documentaires musicaux sont ceux qui arrivent à se détacher de cette image. 101 (1989), le documentaire sur la tournée de Depeche Mode en est le reflet. Les réalisateurs ont pris le parti pris de filmer les fans qui suivent leur groupe en tournée, jusqu’à leur dernier concert au Rose Bowl Stadium de Pasadena. C’était un peu le Loft Story avant l’heure.
Dans ce festival, il est notamment question de Juan Atkins, The Experimental Tropic Blues Band ou encore Genesis Breyer P-Orridge. Faut-il donc être à la marge pour devenir le héros d’un documentaire ?
BB : (Rires) Disons que les artistes plus grand public ont l’habitude des promotions sur les plateaux TV. Depuis des années, je me bats pour que la télévision arrête de faire l’équation audience/ventes d’album. Après, des artistes grand public peuvent aussi être de bons sujets… Mais naturellement on ne va pas orienter le film vers cela. Les labels attendent un rendement alors ils ne veulent pas investir dans un staff si c’est pour que le documentaire soit diffusé à 23h sur une chaîne câblée. Mais je ne suis pas contre un travail fouillé sur M Pokora ou Black M, rien n’est impossible !
Deux des trois réalisations françaises présentées au festival traitent de musiciens étrangers. Est-ce que ce cocktail transgressif Musique, sexe et drogue pourrait coller à des artistes français de nos jours ? En est-on encore réduit aux déboires de Serge Gainsbourg ?
BB : A vrai dire, on a peu d’artistes qui prennent position en France, comme aux Etats-Unis. Tout est très cloisonné. L’industrie musicale a souvent signé des musiciens peu intéressants, à mon sens. Et malgré ce que l’on peut penser, je ne vise pas les artistes grand public qui tiennent leurs promesses. Par contre, je me questionne sur les artistes plus marginaux. Etre à la marge actuellement, ou du moins se revendiquer comme tel, c’est un confort! Et les institutions comme le rock les soutiennent. Ce sont les artistes qui se revendiquent le moins de Gainsbourg qui finalement jouent les mauvais Gainsbarre de l’époque des Enfants de la chance, au look destroy et avec la clope au bec. On voit très bien ce que la télévision attend, et il ne faut pas tomber dans ses travers.
Pour répondre à votre question, le musicien Mickey Baker, américain venu ensuite dans la région toulousaine, aurait mérité son documentaire. A vrai dire, nous préparions le tournage avant qu’il ne tombe malade.
Donc, personne dans la musique française actuelle ou qui ne vient pas des Etats-Unis ?
BB : Je pense qu’il y aurait un énorme travail à faire avec les arrangeurs musicaux. Ces musiciens de l’ombre, comme Jean-Claude Vannier (qui a collaboré avec Serge Gainsbourg, Michel Polnareff, et Johnny Hallyday, ndlr). Aujourd’hui, ils n’apparaissent qu’en second plan dans des rétrospectives musicales.
Pensez-vous qu’il y ait une plus grande liberté de ton aux USA qui explique cette appétence pour les documentaires musicaux?
BB : Disons que les Américains ont une vraie conscience patrimoniale, notamment à l’égard du blues et du rock, que nous n’avons pas en France. Malheureusement, des gens comme Mickey Baker ou comme Nancy Holloway, qui ont eu un succès discret et des trajectoires de vie hors-norme, les gens s’en foutent ! Comme eux, des dizaines d’artistes fantastiques n’auront malheureusement pas la reconnaissance qu’ils méritent.
Le média américain Vice a participé, depuis sa création en 1994, à l’imaginaire transgressif de la musique. Un virage qui n’est pas passé chez les puristes. Il propose aujourd’hui un film hors compétition (Noisey Atlanta: Une histoire de la Trap Music). Comprenez-vous le Vice-Bashing autour de la nouvelle forme de représentation de la musique?
BB : Je pense qu’il n’y a pas de comparaisons à faire entre anciennes réalisations et nouveaux documentaires. D’un point de vue technique, le passage au numérique a totalement changé le rapport au temps. Avant, le coût de la pellicule influençait beaucoup le tournage et donc la réalisation. Aujourd’hui, il y a peut-être plus de moyens mais moins de magie. Après tant que la musique est représentée, même si c’est sur Vice, cela ne me dérange pas. Mais tout n’était pas forcément bien avant, non plus. Personnellement, je trouve la réalisation de One + One (1968), faite par Jean-Luc Godard sur la création des Stones, inexacte. Je sais que je vais me faire beaucoup d’ennemis !
Propos recueillis par Corentin NICOLAS