Pas facile la vie de réalisateur. Les frères-acteurs Yannick et Jérémie Renier ont pu s’en rendre compte le temps d’un film, leur film, Carnivores, qui sort en salles le 28 mars. Une expérience lourde mais enrichissante. Et, peut-être, à renouveler.
Ca y est, c’est dans la boite ! L’acteur Jérémie Renier et son comédien de frère Yannick font le tour de France pour présenter leur premier bébé. Ou plutôt, leur premier film qu’ils ont réalisé. Ensemble, entre frères. Le titre ? Carnivores ! Le pitch ? Une jeune comédienne sans succès qui vit dans l’ombre de sa sœur. Elle exerce la même profession… mais avec la gloire en plus.
Une part d’autobiographie dans ce film qui a pris sept ans à voir le jour. S’assoir sur le siège bancal de réalisateur quand on n’a connu que les plateaux ou les planches demande du courage et beaucoup, oui, beaucoup de boulot. « Réaliser un film, c’est une traversée… » lâche celui qui a incarné Claude François au cinéma, en 2012. « On a découvert ça à deux, tous les deux. C’est agréable, car cela permet d’être soutenu dans certains moments difficiles. on est pas tout seul à prendre toutes les rafales sur le bateau ». Car la mer est périlleuse. Avant que tout soit mis sur pellicule, il faut faire face aux intempéries du doute, à son équipe, aux producteurs, aux créanciers. Et même, à être continuellement plongé dans des réflexions sur son écriture, son propre art. Franchir ce cap à deux, « avec quelqu’un qu’on aime, on se sent plus fort ». Même si, il faut bien l’avouer, il y aurait eu un léger déséquilibre dans le partage des tâches… « Il faisait tout, moi j’étais tranquilou ! » rigole Jérémie, avant que son frère, l’air déconfit, lance un : « il arrivait tout le temps en retard… ». L’accusé avoue son crime.
De la sueur et des soutiens
Dans les faits, c’est un peu plus fairplay. « Tout a été écrit et réaliser à quatre mains, pour que l’on soit une même voix ». Et les frérots se la jouent ambitieux. L’objectif : donner naissance à un thriller, un film de genre. Une attention particulière a été mise sur la lumière, la mise en scène, la musique. « J’y ai laissé des plumes » confesse Yannick, avant que Jérémie ne parle d’un « investissement global ». Car la tâche a été rude. « je me souviens de moments où l’on était totalement perdus et épuisés. On s’est tourné vers notre chef opérateur pour lui demander ce qu’il ferait, et il a répondu « c’est votre film les amis, c’est à vous de faire ! », raconte Yannick avec sourire. Le résultat final transpire de cette volonté de bien faire, même si le film a de nombreux défauts. La narration, alambiquée, en est d’ailleurs la principale responsable. Et déçoit, malgré une bande-annonce qui rend curieux.
Les deux acteurs ont senti cette nécessité de bien s’entourer tout au long de l’élaboration du film. D’abord, par leurs producteurs, liés par le sang également : les frères Dardenne. Jérémie les connait bien. Il a plusieurs fois joué pour eux. Et il leur doit son premier film, La Promesse, à l’âge de 15 ans. « Ils nous pointaient des éléments qui leur posaient problème. On pouvait y répondre… ou pas. Cela nous a parfois permis de nous remettre en question ». Ils ont donc compris une chose : s’entourer de bon techniciens pour un premier film, c’est vraiment important. « Ce sont des personnes qui peuvent nous faire profiter de leur expérience, de leur talent ». Bref, des professionnels qui ont un oeil, une bienveillance. Tout comme la pleine confiance qu’ont offert les actrices principales, Leila Bekti et la révélation Zita Hanrot. Avec, bien sûr, un juste retour des choses. Ils connaissent cette épreuve d’avoir la caméra tournée vers l’acteur. Ne pas se sentir à l’aise, avoir la pression, la peur de mal jouer. « On a été très attentionnés et compréhensifs avec elles, on les a guidés », raconte Yannick, que les spectateurs ont pu voir l’année dernière dans Patients, le film sur le slameur Grand Corps Malade.
Réaliser est plus fort que jouer
La performance d’un acteur, justement. Ils ne peuvent s’empêcher de comparer leur job principal, celui de jouer, à celui de réaliser. « Chaque acteur devrait passer la phase ‘réalisation’ pour comprendre ce que c’est », estime Jérémie. lls ont connu auparavant les névroses, ou se sont retrouvés face des comportements d’acteurs qui pensent à leur petite personne au lieu de la jouer collectif. Carnivores a été l’expérience de la prise de conscience. Mieux, un apprentissage. « Un réalisateur qui a tellement plus de choses à gérer… On relativise ! ». Il continue : « Quand on est acteur, on a un calendrier bien défini, on ne se rend pas du compte du temps qu’il faut, de ce qui se passe avant et après notre arrivée sur le plateau. Ni de la préparation, des changements de circonstances ». Alors, finalement, tiennent-ils vraiment à revivre cette expérience ? La réalisation les a secoué. Elle implique responsabilité et acharnement, quasi-viscéral. Mais, avec le recul, le sourire est heureux. Après les frères Coen ou les frères Dardenne, les frères Renier ? « Si germe une envie conjointe, j’espère qu’on pourra s’y remettre » affirme Yannick. Blagueurs, ils imaginent déjà le titre d’un potentiel deuxième projet, après Carnivores. Jérémie, détendu sur sa chaise, son verre d’eau en face de lui, lâche avec sourire, « il s’appellera « Vegan »…! ». Et pourquoi pas, après tout ?
Liste non-exhaustive