Help me find a way to pass the time
Everybody telling me life’s short, but I wanna die
I have made a very big decision
I’m goin’ to try to nullify my life
Everybody telling me not to, but I’m gonna try
Non, ce n’est pas un nouveau morceau. Mais bien deux textes assemblés. « Héroine » et « The Brightside ». The Velvet Underground et Lil Peep. Auraient-ils pu collaborer ? Aujourd’hui, cela n’aurait rien de choquant. Avant ? Pas vraiment… Leurs chansons expriment des envies suicidaires, cette dépression quasi-obsessionnelle, la mort comme seul exutoire et finalement la drogue pour soulager cette détresse. Une addiction qui coûtera la vie au plus jeune d’entre eux, le rappeur Lil Peep. De ce drame, une génération a éclos autour de cette icône et s’est épanouie dans un style musical aux frontières du rock’n’roll et du hip-hop. Elle a fondé l’émotrap, appelé aussi punk-rap, soundcloud. Ses héritiers sont XXXTentacion, 6ix9ine, Trippie Redd, Post Malone, ou encore Lil Xan…
Addiction, suicide et mélancolie… « Le rap comme le rock a ce même désespoir, cette même volonté à tout foutre en l’air » observe Jean-François Brieu, journaliste spécialiste du rock. Les Red Hot Chili Peppers, dans le son « Under the bridge », parlent de déception sentimentale et de pensées suicidaires. Comme les rockeurs, XXXTentacion se rabaisse et se mortifie tout en se libérant de ses démons, bien loin du cliché du gangsta rap véhiculé à gogo aux débuts des années 2000. « Cette forte tendance de rap un peu destroy, d’artistes bien sombres, bien torturés ressemble beaucoup aux codes du rock. Des mecs au comportement autodestructeur, c’est typiquement ce que représentaient les rockeurs il y a 40 ans » estime Genono, chroniqueur et journaliste pour Noisey et Le Mouv’. Ultime convergence : Kurt Cobain, idole de ces rappeurs, à la personnalité ravagée par un mal-être mentale et par son addiction à l’héroïne. Il est très souvent cité par les rappeurs US ou français. Une inspiration. C’est le « Tupac du rock ».
Le rap francophone n’est pas en reste. À l’instar d’XXXTentacion, Damso, le rappeur belge, parle du suicide d’une de ses conquêtes dans « Amnésie », accompagné d’un clip poignant. Un témoignage unique et libéré dans ce single phare déstabilisant. O’Boy, un rappeur français incarne cette duplicité rap/rock amenée par la nouvelle génération originaire de Floride. Cet artiste parisien s’est écarté des codes du rap afin d’installer des musicalités très rock dans ses morceaux où il n’hésite pas à faire chanter la guitare électrique, comme dans le titre « Noir ». L’appropriation de la guitare est la nouvelle corde à l’arc du rap. Youv Dee, un jeune rappeur parisien, s’en sert dans son morceau « Slay ». Les rappeurs s’inspirent du rock, à tel point que certains artistes hip-hop ont sorti un album rock comme le célèbre Lil Wayne avec Rebirth. Preuve que les liens subsistent…
Loin du boom-bap classique ou de la trap plus hardcore, le rap se libère. Lomepal, dans une interview l’avoue : « Je pense qu’aujourd’hui je fais plus du rock que du rap. » Dans la réédition Deluxe de Flip, son dernier album, il n’a pas hésité à multiplier les versions acoustiques de ses morceaux. Peut-on y voir un rap qui s’affirme par rapport à ses voisins rock, pop ou variété ? Sûrement. « Aux USA, ils ont un bagage musical, ils ont des influences beaucoup plus vastes. Ils ont pas peur de faire des cross over, ça commence seulement en France », analyse Keurspi, rappeur bordelais. Lil Peep, nothing,nowhere., XXXTentacion, Trippie Redd, tous utilisent les codes rock : la voix saturée et l’effet d’overdrive.
Une nouveauté ? Non. Dès 1993, la BO du film « Judgement Night » était basée entièrement sur des duos entre rappeurs et rockeurs (Cypress Hill et Sonic Youth, De La Soul et Teenage Fanclub, Slayer et Ice-T…). Un carton aux USA. Et comment passer à côté du tube « Walk this way« de Run DMC associé à Aerosmith, un groupe de rock, en 1986 ? Des précurseurs. Les producteurs sont le point commun de cette connivence rap/rock. Il n’est pas surprenant de retrouver Rick Rubin, grand producteur américain, aux manettes des albums rock d’AC/DC, des Red Hot Chili Peppers, de Johnny Cash, de Linkin Park mais aussi d’Eminem, Jay-Z et… Run DMC en rap. « La BO de Judgment Night est aussi issue de propositions de producteurs. Les « intermédiaires » de l’industrie musicale ont eu un rôle important pour l’ensemble des musiques populaires depuis l’invention du rock dans les années 50″, résume François Debruyne, maître de conférence à Lille. L’union des deux genres semblait inévitable. Des ovnis sont nés depuis 2017, davantage proches du métal : un style qualifié de « trap métal », représenté par Scarlxrd ou 6ix9ine aux cris rompus. Une patte musicale peu conventionnelle, assez clivante pour les amateurs de rap : « Ce style métal, ça ne me plaît pas trop. Pourtant, j’ai toujours écouté de tout, de l’alternatif. Les mecs avec la trap metal, j’ai plus de mal », avoue Clovis Porcher, de temps en temps rappeur, sous le nom « I2S NLR ».
Une connivence musicale, une connivence lexicale, mais aussi une connivence dans l’attitude. Ces nouveaux artistes « émotrap » recyclent efficacement des looks et des codes en y apportant leur univers et en ayant l’intelligence de s’ouvrir à d’autres styles musicaux. Comme ces nouveaux artistes…
Un regard aguerri peut les distinguer. Le look déjanté de certains rockeurs a eu une influence considérable sur la génération rap qui a grandi en les voyant à la télévision ou en concert. L’attitude est un point central pour un grand MC. L’image du rappeur dur, froid, rigide, « kaïra » accompagnée de « l’égo-trip » se déconstruit. Lomepal, sur la pochette de son album FLIP, est grimé, maquillé et porte des habits plutôt féminins, à l’instar de Serge Gainsbourg avec « Love on the beat« . Young Thug, le rappeur d’Atlanta, va plus loin, créant toute une mode autour de lui. Tantôt en jupe, en robe, avec des manucures, des dreadlocks : un style bien particulier qu’il revendique « punk, rock, d’une autre planète ». Il est le prophète d’une génération qui s’est émancipée des codes classiques du rap à base de casquette, baggy et gros muscles. Lil Pump, Lil Peep, XXXTentacion, Post Malone, tous incarnent un style vestimentaire particulier. De nombreux et imposants tatouages partout sur le corps et sur le visage à la Travis Barker, et des cheveux colorés comme un David Bowie ou un Kurt Cobain.
Sur scène et dans la fosse, l’attitude a évolué. Fini les spectateurs qui hochent simplement la tête sur les kicks et les snears de l’instrumentale rap. L’esprit rock est omniprésent. Roméo Elvis insiste sur cette dimension et entraine toute la foule, finissant systématiquement torse-nu. Un comportement qui rappelle celui d’Iggy Pop. Aux États-Unis, la jeune génération a placé haut le curseur de la folie et du divertissement dans le rap. Avec XXXTentacion, la violence et la tension sont palpables évoquant des souvenirs des bons vieux concerts rock. Lil Uzi Vert s’est même envolé sur scène lors d’un festival, effectuant un « slam » d’anthologie à trois mètres de haut.
Une musicalité qui converge de plus en plus, une attitude toujours plus proche et une popularité quasiment similaire… Voilà ce qui assemble le rap d’aujourd’hui et le rock de l’époque. Post Malone incarne le plus ces trois points. « Rap is the new rock’n’roll, we’re culture ! Rap is the new rock’n’roll, we’re the rockstars ! » répétait et scandait Kanye West avec l’attitude théâtrale qu’on lui connait au micro de la BBC, en 2013. Souvent moqué par sa démesure et son exubérance, le rappeur originaire de Chicago a eu plutôt le nez creux cette fois-ci. Quatre ans plus tard, Post Malone lui répond d’une fort belle manière avec son tube « rockstar ».
Alors, convaincu ? Et s’il suffisait finalement de suivre la logique de Joey Badass (interviewé chez Montreality) qui conseille d’appréhender le hip hop comme le rock. Le rock est le genre principal d’un mouvement musical dont découle tout un tas de genre. Ainsi, le hip hop serait le genre principal d’un mouvement qui casse le plafond de verre déjà existant. Le but d’une telle distinction est de ne pas mettre dans le même sac un Kendrick Lamar et un Lil Uzi Vert (il ne viendrait pas à l’idée de mélanger Rolling Stones et Meshuggah par exemple). Il n’est pas question de faire une hiérarchie ou de les opposer, mais de simplement ne pas les confondre. À la conclusion, Genono : « La tendance est de dire que le rap est la nouvelle variété, le nouveau rock, la nouvelle pop… Je pense que le rap est devenu tellement protéiforme qu’il peut représenter tout ça en même temps. Aujourd’hui, le rap est un peu une base sur laquelle on va poser la couleur que l’on veut : de l’afro, du rock, de la pop, de l’électro, de la zumba. »