Hier, le Parlement chinois a voté à la quasi-unanimité en faveur de l’abolition de la limitation des mandats présidentiels. Un plébiscite qui permet à l’actuel président de rester en poste après 2023, année qui aurait dû être le terme de son mandat. Pour la presse française, la nouvelle constitue une dérive inquiétante du régime.
Le Figaro plaque la mine ravie de Xi Jinping en une du quotidien et titre : « Le nouvel empereur ». Pour lui, pas moins de 3 articles répartis sur une double page « Evènement ». Cyrille Pluyette, le correspondant du journal à Pékin, fait le récit de la journée de dimanche pendant laquelle « oncle Xi » a transformé son « rêve chinois » en une réalité inscrite dans la constitution. Le journaliste donne la parole à ceux pour qui « la mesure ne passe pas », en précisant qu’il s’agit pour beaucoup d’entre eux de « franges de l’élite intellectuelle » chinoise, une minorité donc. Les citations ne s’accompagnent pas de noms, ni de trop de description. Le risque est élevé pour ceux qui parlent. En Chine, les avis divergents sont difficiles à recueillir. « Oncle Xi » veille.
Deux autres articles, complémentaires, proposent un éclairage sur la réception de cette actualité à l’étranger. Aux Etats-Unis, la réaction positive de Trump contraste avec l’idée d’une rivalité sino-américaine qui pourrait bien s’envenimer dans les prochains mois.
Le second rend compte de « l’arc de l’anxiété » qui se développe chez les voisins de l’ « Empereur rouge » à travers l’Asie, « de New Dehli à Tokyo en passant par Canberra ». Et si Xi Jinping fait peur à ses voisins, c’est via un savant cocktail qui mélange l’« arme commerciale » chinoise pour accroître son influence politique à l’international tout en ne négligeant pas « le joker militaire ». Pour le Figaro, pas de doute, c’est l’événement de la journée. Une « présidence à vie » synonyme pour le quotidien de « péril chinois » qui rend « anxieux » les voisins asiatiques et les puissances occidentales.
Du côté du Monde, le sacre de Xi Jinping est renvoyé en page 4. Le choix éditorial n’est pas le même que pour le Figaro : moins de contenus, moins d’analyse, plus de faits. Rare point commun : les deux grands quotidiens nationaux sont les seuls à proposer des papiers de correspondants. Depuis Pékin, Brice Pedroletti raconte le « coup d’Etat constitutionnel ». Comment Xi Jinping a-t’il orchestré cette modification de la Constitution ? Grâce à la presse officielle, à une police politique qui fait taire toute opposition et à des modérateurs qui surveillent la toile. Le régime « s’affranchit des règles qui (…) rendaient son système politique autoritaire si différent de pratiquement toutes les autres dictatures ». Le ton est moins alarmant que celui du Figaro mais le même constat demeure. En Chine, un syndrome du « mauvais empereur » guette le régime.
Une béquille vient en soutien à l’article principal. Florence de Chagny, correspondante à Hongkong pour le Monde, rend compte du revers des militants pro-démocratie lors des dernières élections législatives partielles. L’enjeu prend des allures de référendum qui doit déterminer la position de Hongkong face à l’influence chinoise. Comme pour Le Figaro, en marge de l’actualité principale, Le Monde présente une conséquence de la politique régionale de Xi Jinping.
En Chine, Xi Jinping réussit un coup d’Etat constitutionnel https://t.co/Ii2AUyvDGM
— Le Monde (@lemondefr) 11 mars 2018
Du côté de Libération, pas de correspondant. Un article indigent, recalé en page 11 et écrit à partir de dépêches AFP. Loin de l’ « événement » du Figaro, l’actualité chinoise est ici reléguée en second plan. Rien n’est fait pour mettre en avant l’article, aucune plus-value, si ce n’est le titre, original et décalé : « Avec Xi Jinping, c’est pour la vie ? ». Dans le fond, Libération s’attache aux faits : le résultat du vote, l’inscription de la « pensée de Xi » dans la Constitution et la menace qui pèse sur les opposants du régime. Pour Libération, il y a des sujets bien plus importants en ce lundi 12 mars. En s’attachant au factuel, exclusivement, le quotidien calme les vives inquiétudes de ses concurrents.
Pour l’hebdomadaire Courrier International, sorti le 8 mars soit 4 jours avant le vote, la re-contextualisation est le mot d’ordre. L’article, extrait du Shung Po, un journal économique hongkongais, anticipe le vote des deux amendements, comme si l’issue des débats au Parlement était déjà connue de tous. Le dirigeant chinois est comparé à Mao Zedung et semble marquer une rupture politique profonde avec un autre de ses prédécesseurs : Deng Xiaoping. Afin « d’empêcher toute nouvelle émergence d’une figure politique comme Mao », ce dernier avait opté pour la décentralisation du pouvoir. Avec ce vote et en tant que gardien de la « Trinité » – composée de l’Etat, de l’armée et du parti – saint Jinping regroupe tous les pouvoirs autour de lui. Pour le journal hongkongais, nul doute : « Xi restera accroché au pouvoir ».
Sur Twitter, le correspondant du Figaro Cyrille Pluyette remarque qu’au lendemain de sa victoire, le président ne s’affiche pas dans les médias pro-régime. Tous les articles sur le sujet présentent les médias comme un organe de propagande à la solde du leader chinois. Les rares voix discordantes se font entendre du côté de la haute société. En effet, il semble que tous « les chinois ne se rendent pas compte » des conséquences d’un tel vote.
Omniprésent dans la presse officielle d’habitude, Xi Jinping n’est étonnamment pas en une du Quotidien du Peuple aujourd’hui, alors qu’il a obtenu la possibilité de rester président à vie hier. Apparemment, il ne souhaite pas trop que les Chinois s’en rendent compte… pic.twitter.com/wt2xnr2zRV
— Cyrille Pluyette (@CyrillePluyette) 12 mars 2018