Négar Djavadi est l’une des révélations de la rentrée littéraire.La scénariste, réalisatrice et écrivaine franco-iranienne a fui l’Iran en 1980 à l’âge de onze ans, après la révolution islamique. Désorientale* est son premier roman, récompensé par le Prix du style 2016 ainsi que le prix Première 2017 au mois de mars.
Kimiâ, le personnage de votre roman Désorientale vit la révolution iranienne, la résistance et l’exil. Est-ce une autobiographie ?
Dès le départ, mon personnage ne me ressemble pas. Je ne l’ai pas calqué sur ma vie. Mais il y a des évènements autobiographiques, comme la révolution et la fuite du pays. Cela je l’ai vécu. Le reste, c’est de la fiction.
Vous êtes scénariste et réalisatrice. Pourquoi avoir choisi le roman plutôt que le cinéma pour l’histoire de Désorientale ?
Depuis l’école de cinéma, on me pousse à raconter mon histoire, celle de la révolution. Mais je n’avais pas envie de parler de moi, je voulais trouver quelque chose de plus vaste, de plus romanesque. Et le cinéma coûte extrêmement cher. Filmer une révolution, ou une époque historique même dans un autre pays que l’Iran, c’est impossible à mon niveau. J’avais aussi envie d’être assez libre et pouvoir contrôler mon histoire. Au cinéma, le récit passe par les mains d’un réalisateur, qui en fait un peu ce qu’il veut. Et puis, ce que j’avais à dire n’était pas du tout cinématographique. Le but est aussi de distiller des réflexions sur le monde, la société française et iranienne notamment. Au cinéma, c’est plus difficile car l’action prime.
Les artistes iraniens séduisent de plus en plus les occidentaux, par le cinéma, la littérature et la musique. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense que l’Iran est un pays qui fascine énormément mais qui fait peur également. La Perse, avec sa civilisation, sa culture millénaire fascine. L’Iran d’aujourd’hui, dont les portes sont fermées depuis près de quarante ans est surtout connu pour son appui au Hezbollah, ses dirigeants extrémistes, pour Jamais sans ma fille, dans lequel Betty Mahmoody dépeint le pays de manière abracadabrantesque. Et le fait de voir autant d’artistes iraniens, ça désamorce la peur. On n’a pas l’impression d’avoir en face de nous un pays monstrueux qui nous menace, parce qu’il en sort des artistes, des gens qui résistent et qui montrent que les iraniens n’ont rien contre l’Occident, au contraire.
Le rôle des artistes iraniens est-il donc de montrer une autre facette de leur pays ?
La majorité des artistes iraniens n’avaient pas accès au monde extérieur, et n’avaient donc pas connaissance de l’image du pays à l’Occident. C’est plus une manière de résister à une absence réelle de liberté d’expression. Ils mènent un combat face au régime plutôt que pour leur image à l’étranger. Et ce combat est difficile à mener. Les iraniens ont appris à s’organiser et le marché noir de la culture est très important.
* La narratrice de Désorientale, Kimiâ, se trouve dans une salle d’attente de l’aile est de hôpital Cochin, destinée à la procréation médicalement assistée. Tandis qu’elle patiente en tenant dans les mains le tube rempli du sperme décongelé et lavé de Pierre, le père de son futur enfant, elle nous raconte l’histoire de sa famille, les Sadr. Elle commence avec l’arrière-grand-père paternel, grand seigneur féodal vivant dans la région de Mazandaran, en Iran, pour se terminer avec l’annonce de sa propre grossesse : un siècle de bouleversements familiaux, politiques et historiques sur quatre générations.