En France, les monnaies locales ne cessent de se développer. Selon un article publié le 16 mars sur les Echos.fr, 14 % des français en utiliseraient même déjà une. La cité bordelaise n’échappe pas au phénomène et possède elle aussi sa monnaie alternative, depuis près d’un an : la MIEL. ImprimaturWeb est allé sonder l’ampleur du dispositif et a tenté de comprendre son intérêt.
« Ici nous acceptons la MIEL ». Vous n’y avez peut-être jamais prêté attention, mais de plus en plus de commerçants bordelais arborent ce petit écriteau sur la devanture de leur boutique. Dans le quartier des Chartrons, il arrive même d’en retrouver plusieurs dans une même rue. Parmi eux, Fabienne, gérante de MontSommet, un magasin d’équipement de sports d’hiver. Pour elle, accepter le paiement en MIEL (Monnaie d’Intérêt Économique Local) relevait de l’évidence. « Pourquoi ne pas essayer ? Je trouve le concept intéressant. C’est dans l’air du temps. Et puis ça ne me coûte rien, alors j’ai souhaité apporter ma pierre à l’édifice ».
En réalité, l’opération lui a coûté 20€ pour l’année. Comme tous les « prestataires » qui veulent se lancer dans l’aventure, Fabienne a effectivement dû s’acquitter de cette somme pour adhérer à l’association. Car sans appartenir à la communauté, impossible de vendre contre de la MIEL. Pour en faire partie, les commerçants doivent de plus remplir un questionnaire prouvant qu’ils respectent une longue liste de conditions. A commencer par gérer un magasin indépendant. « C’est ça aussi qui est plaisant. Il y a vraiment cette notion de réseau de proximité », indique Fabienne.
Fabienne, gérante du MontSommet, affectionne particulièrement le « côté alternatif » de la MIEL. © Kévin Gaignoux
Les clients désirant régler leurs emplettes via la monnaie locale doivent eux verser 5€ pour adhérer au dispositif. Il leur suffit ensuite d’échanger leurs euros en billets de 1, 2, 5, 10, 20 ou encore 33 MIEL. Et pour ce faire, pas besoin de conversion. « Le calcul est simple : 1€ correspond à 1 MIEL », explique Daniel Bettinger, le bénévole de l’association qui se démène pour développer la monnaie sur le secteur bordelais (la MIEL existe dans d’autres parties du département tels que le Libournais, l’Entre-Deux-Mers ou encore le Sud Gironde). « Le change se fait auprès de ce qu’on appelle des comptoirs. Ce sont des commerçants qui, en plus de leur activité, se proposent pour convertir les euros des particuliers en MIEL ».
A quelques mètres de la boutique de Fabienne, Maison Hegara, un magasin bio et local, fait justement office de comptoir d’échange. Hélène, la responsable, qui se souvient avoir été l’une des premières (si ce n’est la première) à accepté la MIEL dans le quartier, est convaincue des bienfaits du dispositif. « Lorsque quelqu’un paye avec cette monnaie, l’argent reste forcément dans le circuit local puisqu’on ne peut pas la dépenser ailleurs. On favorise donc la proximité et j’adore cette idée ».
Hélène et Marie travaillent dans l’un des commerces le plus ancré de l’association Miel : la Maison Hegara. © K.G
Daniel Bettinger, le tenant du projet sur le secteur bordelais, partage cet avis. « On ne peut pas spéculer avec. On ne peut pas faire de l’argent avec de l’argent. Il faut savoir qu’en moyenne, avant d’atterrir à la banque, une monnaie comme l’euro n’a le temps de passer qu’entre deux mains. Pour une monnaie locale on se situe plutôt entre sept et dix transactions ». Le jeune retraité résume : « Choisir d’utiliser la MIEL, c’est rentrer dans un réseau. C’est se lancer dans un acte militant, voire même politique. Une manière de dire qu’on veut sortir du système établi ».
Un marché microscopique
Sensible à cette philosophie, Jean-Paul, 65 ans, a lui aussi, accepté de faire une place aux billets de la MIEL dans la caisse de son commerce, La Librairie Olympique. « Ayant été démarché, je ne me voyais pas refuser. Ma librairie a presque 30 ans, je suis ancré dans le quartier des Chartrons. C’est donc un moyen comme un autre de créer des liens, de faire des rencontres, de partager ». Il ajoute : « C’est un petit mouvement qui pourrait vraiment prendre de l’ampleur grâce à un désir commun de vivre ensemble ».
Jean-Paul, 63 ans, le libraire des Chartrons, perçoit dans la MIEL un véritable « lien social ». © K.G
Pourtant, force est de constater que la MIEL ne représente actuellement qu’une poussière dans le système économique bordelais. Si Daniel Bettinger parvient progressivement à convaincre des commerces de tous les quartiers bordelais de rejoindre le réseau, l’ampleur de ce dernier reste infime à l’échelle de la ville. Actuellement selon le bénévole, seule une quarantaine de commerces acceptent la monnaie sur le secteur.
Concernant le nombre de clients utilisateurs de la monnaie à Bordeaux, impossible de recueillir un chiffre exact. Les témoignages des vendeurs du quartier des Chartrons illustrent, néanmoins, assez bien, le temps qu’il faudra pour que la MIEL puisse réellement circuler de manière significative. « Je n’ai eu qu’une petite dizaine de clients qui ont utilisé ce moyen de paiement au magasin » assure Jean-Paul, le libraire. Fabienne, la gérante de MontSommet n’a elle toujours pas été réglée en MIEL, après trois mois d’adhésion. « Mon cas est un peu particulier étant donné que je vends des produits plutôt haut de gamme. Je suis persuadé que cela fonctionne mieux sur des produits alimentaires. Et puis il faut du temps pour que tout cela se mette en place », relativise-t-elle. Hélène, la responsable du magasin bio, Maison Hegara, qui a adhéré depuis plus de sept mois au dispositif compte elle une trentaine de clients désormais.
Au total, Daniel Bettinger estime que 4000 MIEL (soit 4000€) sont en circulation, sur le secteur bordelais. Une somme qui peut paraître dérisoire, mais qui semble valoir bien plus aux yeux des convaincus de la monnaie alternative…