Le 14 mars 2016, Vladimir Poutine a annoncé le retrait des troupes russes en Syrie. Un retrait partiel, car les bases de Tartous et Lattaquié restent opérationnelles et des frappes aériennes se poursuivent sur les objectifs jugés « terroristes » par Moscou. Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe à Moscou, revient sur cette annonce pour Imprimatur.
La campagne militaire a duré près de cinq mois. La Russie a engagé plusieurs milliards de roubles dans cette guerre. 2016 est annoncée comme une nouvelle année de récession pour la Russie. Sachant cela, ce départ est-il motivé par des raisons politiques ou bien par des raisons financières ?
Je suis assez catégorique sur le fait que l’annonce russe n’a rien à voir avec des considérations financières. L’intervention russe s’évalue entre quatre et huit millions de dollars par jour. Ce n’est pas insignifiant mais c’est tout à fait supportable, y compris pour une économie en crise.
La Russie estimait que c’était le bon moment pour annoncer la fin de son intervention, mais cela ne signifie pas qu’elle se retire complètement de la Syrie. Ce qu’elle cherche à faire, c’est convertir sa campagne militaire en gain politique surtout qu’après un début un peu hésitant, avec un peu de scepticisme du côté occidental, cette dernière s’est avérée plutôt efficace.
Cette intervention a aidé le régime syrien qui était en mauvaise posture il y a encore quelques mois. Ce retrait partiel signifie-t-il un abandon de Bachar el-Assad ?
La Russie n’abandonne pas Bachar el-Assad, certainement pas. La Russie ne s’est pas autant investie, stratégiquement, militairement, et politiquement pour abandonner Bachar el-Assad. En revanche, c’est un signal disant « on t’a sauvé la mise, tu ne fais pas ce que tu veux ». C’est un moyen de lui mettre la pression, de le ramener à la raison dans la perspective des négociations.
Il est vrai que le régime syrien était en difficulté. Sans intervention extérieure, Damas aurait pu tomber à Noël, ce qui était considéré comme un scénario absolument apocalyptique. Aujourd’hui, au nord, l’armée syrienne avec l’aide de la Russie a desserré l’étau autour de Lattaquié et de Tartous. L’étau a été desserré aussi autour de Damas. Et vers le sud, il y a eu certaines poussées. Le gain au kilomètre carré n’est pas très important mais l’initiative a changé de camp. Le rapport de force s’est inversé sur le terrain.
Le Kremlin s’est engagé dans le conflit syrien en remplissant plusieurs de ses objectifs. Dans quelles mesures Vladimir Poutine est-il parvenu à devenir un acteur incontournable sur la scène internationale ?
La Syrie est importante pour la Russie, mais elle n’est pas une fin en soi. La Russie cherche à atteindre d’autres objectifs par le biais de son intervention militaire et en particulier, celui de restaurer un dialogue d’égal à égal avec les États-Unis. Washington a été d’obligée d’établir ce dialogue. Ça se prolonge d’ailleurs avec la visite de John Kerry à Moscou pour discuter de la Syrie et de l’Ukraine. De ce point de vue, c’est un vrai succès. C’est précisément ce que la Russie voulait.
Désormais, tout le monde dit qu’il n’y a pas de solution en Syrie sans la Russie. Alors même que Moscou était sous pression avec l’Ukraine, qu’un grand nombre ne souhaitait pas avoir affaire avec le pays, il s’impose. La Russie s’impose comme absolument incontournable dans le sujet le plus important de l’agenda international. C’est ça le tour de force.
Propos recueillis par Aurore Richard