Fan Hui restera dans l’Histoire comme le premier joueur professionnel de Go à avoir perdu face à un programme informatique, l’AlphaGo. Le choc, la remise en question de sa passion et finalement, l’acceptation. Il concède aujourd’hui que cette expérience l’a enrichie personnellement. Entretien.
La Place de la Victoire est quasiment déserte ce lundi matin. Quelques étudiants traînent devant l’Université. Deux petits couples discutent en terrasse pour profiter du retour du soleil. Fan Hui attend devant un café, le nez rivé sur son portable. Le natif chinois, arrivé à Bordeaux en 2013, est ponctuel. Il commande un expresso sans sucre et le boit rapidement, sans toucher à son spéculoos.
A première vue, il renvoie une image de sérieux, avec son pull et son jean sombre. Ses lunettes ne lui tombent jamais sur le nez. Définir son âge est une épreuve hasardeuse. Même engagé dans la conversation, son sac à bandoulière ne quitte jamais son épaule. Qu’importe qu’une chaise vide soit présente juste à coté de lui.
Mais, dès que commence la discussion, il se déride, tout en restant pédagogue. La discussion porte sur un sujet sérieux et une blessure personnelle : sa défaite, en octobre dernier, face à AlphaGo, programme informatique crée par Google Deepmind. L’Intelligence Artificielle a remporté une nouvelle victoire en battant le champion du monde Lee Sedol.
Fan Hui fait partie des grands du Go, ce jeu de stratégie vieux de 3000 ans où pions noirs et blancs s’affrontent pour s’avaler l’un l’autre. Il est champion d’Europe en titre depuis 2013. Pourtant, il s’est fait bouffer par un ordinateur.
La défaite
Cinq manches face à l’ordinateur. Il pensait plier chacune d’elle en 30 minutes, environ. Le bilan : cinq cuisantes défaites. Fan Hui est atterré. Il affirme avoir connu le même sentiment d’impuissance durant ses face à face avec les meilleurs joueurs mondiaux. Sa voix ne déraille pas durant le récit. Il raconte, comme on conterait une anecdote professionnelle. Il décrit ses efforts pour prendre le dessus sur AlphaGo. Ses tentatives pour changer de stratégie. Mais ça ne sert à rien. « AlphaGo n’a ni stratégie, ni style. Il s’en fout « , analyse l’homme.
Fan Hui a un style, une façon de jouer. Il est humain aussi. Alors il fatigue et commet des erreurs. AlphaGo n’est pas comme lui. Contrairement aux humains, il ne peut pas avoir la sensation de faire des erreurs. Fan Hui craque et chute.
La frustration et la honte
Se remémorer cette défaite est douloureux. Le jeu de Go est, pour Fan Hui, un moyen d’expression et d’échange. Lire l’adversaire et ressentir les sentiments de l’autre fait partie de la pratique. AlphaGo est une machine. Il ne ressent pas et ne peut pas être lu. Fan Hui le sait et affirme que cela influe sur sa façon de jouer. La défaite est dure à avaler. L’homme de 37 ans remet en question sa passion et son métier. Il est le premier professionnel à se faire battre par un programme, » c’est la honte « . Comment pourrait-il se retrouver face aux autres professionnels sans rougir ?
Les semaines passent et le temps guérit les maux.
Relativiser
Fan Hui veut avoir une vision la plus large possible. Sur un plateau 19×19 de Jeu de Go, comme dans la vraie vie. Pour lui, il faut observer le monde et le vivre d’un point de vue « global ». Cela signifie qu’il faut ouvrir son esprit au delà des problèmes instantanés. Par exemple, dans la vie, » chaque personne peut avoir des problèmes à gauche et à droite. Mais ce n’est que » local ». Aller plus loin et avoir une vision globale, c’est trouver une solution « . Fan Hui a perdu face à AlphaGo et en retire de la honte. C’est le « local ». En prenant de la hauteur, il se rend compte qu’il a également appris à mieux se connaitre lui-même : son caractère, son mode de réaction, ses buts dans la vie.
Positiver et évoluer
La sensation d’avoir expérimenté une nouveauté. Voilà ce que Fan Hui retient, cinq mois après sa défaite. Certes, il se remémore toujours les sensations cuisantes de ce fameux jour. Mais il les a surpassés. Le Bordelais d’adoption collabore aujourd’hui avec Google Deepmind pour continuer d’améliorer AlphaGo. Fan Hui affirme aujourd’hui ressentir du plaisir à jouer contre le programme. Il a la sensation d’être face à un miroir qui le renvoie à ses propres forces et faiblesses. « J’ai la sensation de mieux jouer au Go depuis cette défaite « , confit-il.
Trouver sa nouvelle voie
Le joueur professionnel y pensait depuis un moment déjà, mais cette rencontre avec AlphaGo l’a décidé. Il veut arrêter la compétition. Trois fois de suite champion d’Europe, c’est déjà bien. Fan Hui ne voit pas l’intérêt de concourir une nouvelle fois pour le titre. L’homme souriant veut maintenant continuer son métier de professeur de Go et profiter du buzz autour de AlphaGo pour promouvoir son jeu à travers le monde et attirer de nouveaux adhérents.
Fan Hui a froid en cette matinée ensoleillée de Bordeaux, mais il n’a fait aucune remarque jusqu’à la fin de l’interview. Il ne s’est pas moqué de son interlocutrice qui a renversé son café sur ses notes. Il quitte la Victoire en se frictionnant les mains, son sac en bandoulière qui n’a jamais quitté ses épaules se balançant sur ses hanches.