Arrachage définitif des vignes dans le bordelais : le secteur viticole en proie au doute

Face à la crise viticole, le ministère de l’Agriculture a annoncé, fin novembre, une enveloppe de 130 millions d’euros pour l’arrachage de vignes. Cette solution définitive freine certains vignerons qui veulent garder le droit de replanter plus tard si l’offre et la demande de vin s’équilibre. 

Jean-Luc Soubie, propriétaire du Château de Lisennes à Tresses, a arraché 18 hectares de vignes depuis 2020. ©Aline Scherfling

Jean-Luc Soubie, vigneron de l’Entre-deux-Mers, une des zones les plus touchées par l’arrachage de vignes en Gironde, couve du regard son exploitation familiale du Château de Lisennes à Tresses, non sans émotion. Ici, il y produit du vin rouge, blanc, et rosé. « Le vignoble que nous avons repris de père en fils faisait 56 hectares. Après l’arrachage de vignes, il n’en fait plus que 38 », soupire-t-il. Cette tendance devrait s’aggraver en dépit de son attachement sentimental et financier à ses terres. « On va sûrement arracher plus de vignes. » En effet, les vignerons vivent une crise viticole depuis plusieurs années, marquée par une production supérieure à la consommation qui plombe le marché et des obstacles à l’export.

​​Selon le Comité National des Interprofessions des Vins (CNIV), la consommation française a drastiquement chuté : elle est passée de 100 litres par habitant et par an en 1975 à 40 litres aujourd’hui. Cette tendance s’observe également à plus court terme. D’après le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), la période 2024-2025 a connu une diminution des ventes de 7 % par rapport à la saison précédente. Face à ce constat, le secteur viticole est contraint de s’adapter et de réduire sa production pour ne pas vendre à perte. 

Un marché en crise

Afin de réguler l’offre face à une demande en baisse, la solution proposée aux vignerons est l’arrachage de vignes. Le plan de sauvetage du ministère de l’Agriculture du 24 novembre 2025 prévoit 130 millions d’euros pour les vignerons en difficulté, soit des subventions de 4000 euros par hectares… à condition d’accepter l’arrachage définitif.  Ainsi, beaucoup se retrouvent face à un dilemme cornélien : s’enfoncer davantage dans la banqueroute ou opter pour une aide qui permet de réduire l’offre sans possibilité de replanter dans le futur. 

Dominique Forget, directeur du domaine Château Couhins à Villenave-d’Ornon, possède un vignoble de 30 hectares. ©Aline Scherfling

Dominique Forget, directeur du domaine Château Couhins, appellation Pessac-Léognan, n’est pas non plus épargné par la crise. Sa production de grand cru, située à Villenave-d’Ornon, est moins touchée que les vins plus accessibles, mais reste fragilisée. « On fait le dos rond, on essaie de résister jusqu’à ce que le marché reparte. C’est un peu égoïste : on attend que la production diminue grâce à nos concurrents qui arrachent. » Cependant, tous les vignobles ne peuvent pas se permettre d’attendre. « L’arrachage définitif, c’est pour ceux qui n’ont plus de trésorerie. Cette mesure est difficile moralement pour les vignerons », se désole-t-il pour ses confrères. « Certains n’ont pas d’argent pour arracher leurs vignes et laissent leurs plants en friches. » Cela peut causer, dit-il, l’apparition de la flavescence dorée, une maladie de la vigne à propagation rapide. 

Se réinventer pour survivre

En attendant que le marché du vin se redresse, Dominique Forget a planté des féveroles sur une parcelle de vignes arrachées à ses propres frais l’hiver dernier. « Cette légumineuse enrichit naturellement le sol », explique-t-il. « Cela sera utile lorsqu’on replantera des vignes. » Si les difficultés économiques persistent, le vigneron envisage cependant d’autres solutions. Parmi elles, la mécanisation, malgré son attachement au travail manuel. « Le personnel représente plus de la moitié des charges. La récolte est beaucoup plus méticuleuse à la main, mais cela coûte moins cher à la machine. » Pour lui, l’arrachage massif restera le dernier recours. 

Jean-Luc Soubie, quant à lui, tente déjà de diversifier sa production avec des solutions à long terme. « On a essayé de cultiver du sarrasin pendant trois ans, mais on a produit à perte », raconte-t-il. « On a aussi planté du petit épeautre, qui nous a fait perdre de l’argent. » Il a également envisagé le thé, les noix et les noisettes, sans trouver une solution pérenne. En attendant, les parcelles vides accueillent un apiculteur et de nombreuses fleurs destinées aux abeilles, une solution qui ne rapporte pas d’argent au vignoble. Cette situation rend le vigneron de Tresses pessimiste : « si la crise viticole continue, je préfèrerai que mon fils ne reprenne pas l’exploitation. »

Ce n’est pas la première fois qu’un plan d’arrachage des vignes est annoncé : un premier a eu lieu en Gironde en 2023, puis un second, national, avait déjà permis la réduction des surfaces viticoles l’année suivante.

Pour obtenir les aides publiques à l’arrachage, un viticulteur doit d’abord s’engager à ne pas replanter de vigne sur la surface concernée. L’exploitation doit ensuite déclarer officiellement l’arrachage dans le Casier Viticole Informatisé (CVI) via le téléservice PARCEL. La demande d’aides s’effectue via le site franceagrimer.fr.
En Gironde, les territoires de l’Entre-deux-Mers et de la Haute Gironde sont les plus concernés par l’arrachage de vignes. (Source : Préfecture de la Gironde) ©Aline Scherfling

Aline SCHERFLING et Carla MORAND

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