Au théâtre Femina, Thibaut Garcia et Antoine Morinière réinventent Bach

Au théâtre Femina, les guitaristes Thibaut Garcia et Antoine Morinière se sont attaqués lundi soir à un monument du répertoire de Bach : les Variations Goldberg. Une transcription exigeante, que le duo porte aussi dans un album, avec précision et complicité.

Les guitaristes Antoine Morinière et Thibaut Garcia, quelques heures avant de monter sur la scène du théâtre Femina ©Hugo Vlamynck

Ce que Thibaut Garcia et Antoine Morinière sont parvenus à présenter lundi soir, peu de musiciens peuvent s’en enorgueillir : offrir au public un moment de grâce, de finesse et d’élégance. Dès leur entrée sur scène, les applaudissements laissent rapidement la place au silence. Puis quelques secondes d’attente. Les guitaristes inspirent, positionnent leurs mains. Et soudain, les notes de Bach s’envolent. Thibaut Garcia cherche du regard son complice, Antoine Morinière hoche la tête. Les voilà lancés pour un dialogue à deux voix, où chaque variation semble sculptée dans la lumière et le souffle.

Un projet né à l’adolescence

Ce concert est l’aboutissement de plusieurs années de travail. Les deux guitaristes se rencontrent sur les bancs du conservatoire. Très vite, ils se confrontent à la montagne que représentent les Variations Goldberg. « Mais après quelques morceaux, on a arrêté le projet parce qu’entre les cours, les concours et le travail de l’instrument en solo, c’était trop », explique Thibaut Garcia. Mais les deux amis se retrouvent pendant la pandémie de covid-19, convaincus que le défi en vaut la peine : « Cette fois, on s’est dit qu’on ne lâcherait pas, que cela prendrait le temps nécessaire, mais qu’on irait au bout. »

Transcrire les Variations de Bach pour la guitare n’allait pas de soi, étant composées pour clavecin. Glenn Gould a marqué l’histoire de l’œuvre par son adaptation au piano en 1955, mais la guitare est longtemps restée dans l’ombre. Pourtant, « on retrouve la même attaque de la corde entre la guitare et le clavecin, avec une acoustique assez similaire », détaille Antoine Morinière. L’originalité de la guitare réside dans les nuances de vibrato et de timbre, montrant les Variations sous un nouveau jour.

Une complicité au cœur de l’interprétation

Les variations s’enchaînent avec fluidité. Les deux musiciens s’accordent, créant l’impression de n’avoir qu’un instrument sur scène. Une forte amitié unit les deux guitaristes. Musicalement, le lien est évident : « On se retrouve beaucoup en tant qu’humains sur scène », raconte Antoine Morinière. « On va dans la même direction, ce qui crée notre liberté lors des concerts : on se comprend dans le discours, donc l’un peut amener l’autre où il le veut ». La confiance est essentielle, ajoute Thibaut Garcia.

Plus le temps du concert passe, plus les musiciens semblent se libérer, se transcender. Antoine Morinière laisse parler tout son corps, tandis que Thibaut Garcia ponctue certaines notes d’un sourire. Si l’œuvre forme une pièce à part entière, les variations de rythme maintiennent le public du Théâtre Femina en haleine. Une spectatrice ne peut s’empêcher de hocher la tête sur la Variation XII : la musique engage émotionnellement, les gestes le trahissent.

Une salle gagnée par l’émotion

La fin approche. La partie qui touche le plus les deux musiciens : « Les dernières variations sont chargées de toute l’intensité de la pièce qui les précède », précise Antoine Morinière. La Variation XXV résonne comme le centre émotionnel de l’œuvre, poussant le silence de la salle à son paroxysme. « C’est l’illustration parfaite des deux instruments qui chantent en harmonie », confie Thibaut Garcia.

Lorsque la dernière note s’éteint, un long silence flotte encore dans la salle, chacun retenant son souffle. Puis viennent les applaudissements, amples et unanimes, les spectateurs debout. Les guitaristes se félicitent mutuellement, remercient le public. Antoine Morinière salue chaleureusement les jeunes musiciens qui ont assuré la première partie. Leïla Lassalle Santamaria, Camille Mingam, Samuel Bréard, Pierre-Louis Chabanon et Maël Philippe ont impressionné par leur sensibilité.

Un moment suspendu lundi soir, où Bach, réinventé à quatre mains, a rappelé au public du Femina combien la musique peut encore surprendre et émouvoir. Une soirée d’autant plus particulière pour Antoine Morinière, qui a vécu à Bordeaux étant jeune et qui y donne des cours aujourd’hui : « Je suis à la place que j’ai observée pendant des années. C’est très émouvant de changer de côté. » Le duo sera sur scène le 15 décembre prochain à Toulouse, ville natale de Thibaut Garcia.

Hugo VLAMYNCK

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