Depuis quelques semaines, la Chinese Super League, le championnat de foot chinois, défraie la chronique. Des stars à la pelle contre beaucoup de millions, dans un championnat pourtant méconnu et à la traîne. Derrière cette stratégie, le président Xi Jinping.
En Chine, on l’appelle « zuqiu ». Chez nous, football. Le terme anglais, qui a traversé nos frontières depuis belle lurette, n’a pas encore pénétré le vocabulaire de l’Empire du milieu. Le sport en lui même est en passe de le faire. À la ramasse depuis son apparition dans les années 50, loin de captiver les foules, le football chinois semble aujourd’hui sur le (long) chemin du développement. Ces dernières années, la Chinese Super League attirait pourtant quelques joueurs de renoms. Mais âgés et rouillés, et à la recherche d’une dernière expérience lucrative avant la retraite. Depuis janvier dernier, le championnat est entré dans une autre dimension. Ramires (Chelsea), Jackson Martinez (Atletico Madrid), Freddy Guarin (Inter Milan) ou encore le parisien Lavezzi . Des joueurs à forte notoriété, jouant pour des clubs réputés, et encore relativement jeunes. En échange de leur venue, des sommes folles et des salaires astronomiques. Car la Chine est devenue une puissance footbalistique au potentiel économique colossal. Grâce notamment à son président, Xi Jinping, grand passionné de ballon rond, qui a lancé son pays dans une vaste campagne de développement.
Un potentiel économique décuplé
Xi Jinping a bien compris l’importance du sport dans la diplomatie mondiale et l’économie. « La Chine a compris depuis milieu des années 60-70 l’impact du sport dans les relations internationales. À l’image du Qatar, qui réalise des investissements importants dans différents clubs et dans l’accueil d’événements sportifs », analyse Carole Gomez, chargée des questions liées à l’impact du sport sur les relations internationales à l’IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques). Dominer le sport le plus populaire au monde pourrait faire prendre au secteur sportif chinois un poids de près de 800 milliards de dollars dans le PIB national d’ici 2025. Un atout non négligeable, d’autant que la Chine bénéficie d’un bassin de population immense. « Le public chinois s’intéresse pas mal au foot, mais principalement étranger, il y a donc une volonté de créer un marché intérieur », explique Raffaele Poli, directeur de l’Observatoire du football au CIES (Centre International d’étude du sport, basé en Suisse)
Aussi, le président et premier secrétaire du PC a incité les entreprises chinoises à investir dans le foot. Depuis deux ans, les dix plus gros hommes d’affaires chinois ont tous acheté un club local. Le plus connu d’entre eux, Jack Ma, président du géant du commerce en ligne chinois Ali Baba, s’est offert durant l’été 2014 50% des parts du Guangzhou Evergrande. Une opération qui a permis de remplir les bourses des clubs. Si la saison dernière les chiffres n’étaient pas ridicules (116 millions d’euros dépensés), ils ont explosé cette saison, avec plus de 260 millions d’euros lâchés rien que sur le mois de janvier et février. L’augmentation des droits TV n’y est pas pour rien non plus. De 7 millions par ans à 1 milliard sur 5 ans. Sans parler des salaires, eux aussi mirobolants. 14 millions d’euros par an pour Ezequiel Lavezzi, plus les primes. Pour la première victoire de son club Hebei Fortune, l’argentin s’est vu offrir 60000 euros. Cadeau.
Un plan pour développer le football en dix ans
Avec seulement 137 000 licenciés dans tout le pays, soit seulement 0,01% de la population totale, le football fait pâle figure en Chine. Lancé l’année dernière, le plan football de Xi Jinping vise à ancrer ce sport dans la culture chinoise, avec comme cible la jeunesse. Le président souhaite rendre obligatoire le foot à l’école, et mettre le paquet sur la formation. 50 000 écoles de football devraient ouvrir d’ici 10 ans. « C’est une question de prestige, l’objectif affiché est de créer la meilleure équipe nationale pour être compétitif a l’international« , analyse Raffaele Poli. À terme, Xi Jinping souhaite faire de la Chine une grande nation du foot, avec comme objectif l’organisation de la Coupe du monde 2030. Une compétition à laquelle la Chine n’a participé qu’une seule fois, en 2002, chez ses voisins Sud Coréens et Japonais. C’est dire tout le chemin à parcourir.
Des investissements au-delà des frontières
Si le championnat national fait énormément parler de lui depuis quelques mois, les investisseurs chinois sont également de plus en plus nombreux à quitter l’Empire du milieu pour venir chatouiller le marché du foot européen. À l’image des puissances du Golfe, qui ont investi massivement dans plusieurs clubs du vieux continent, Manchester City, le Paris Saint-Germain et dans une moindre mesure Malaga, de nombreux entrepreneurs chinois commencent à s’intéresser à l’Europe. « De plus en plus de clubs européens en difficulté financière peuvent être repris facilement par ces investisseurs là, avec une volonté politique : faire progresser le championnat à l’échelle internationale, et provoquer des répercussions économiques bénéfiques », relève Carole Gomez.
L’Athletico Madrid, Manchester City, le FC Sochaux-Montbéliard ou encore le club hollandais de La Haye ont vu des groupes chinois entrer partiellement voire totalement dans leur capital. Un choix stratégique puisque ces derniers obtiendraient, en plus de la reconnaissance de leur président, des privilèges sur le marché intérieur chinois. « Les grandes entreprises investissent aussi dans le football pour être défiscalisées, ce sont des choses qui les encouragent encore plus, et qui démontrent la volonté politique forte », selon Raffaele Poli.
Pour autant, le football chinois est encore bien loin du haut niveau. « Ce n’est qu’une amorce de développement. Ce n’est pas un feu de paille, mais il ne faut pas penser non plus que Messi va débarquer en Chine demain », tempère Raffaele Poli. « Aujourd’hui le foot chinois n’est pas encore mûr pour déplacer le curseur du foot mondial« , confie de son côté Carole Gomez. Malgré tout l’or du monde, la culture du foot, elle, ne s’achète pas.