Suite à la mort d’un enfant, les familles endeuillées font face à un double défi : surmonter le choc de cette perte insupportable et dépasser l’impossibilité de parler de leur douleur. Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée mondiale des enfants partis trop tôt, ces parents dénoncent ce silence et réclament un accompagnement digne des épreuves vécues.
« Les parents sont facilement isolés par le décès de leurs enfants. C’est très tabou, ça fait peur, les gens autour ne savent pas quoi dire. » Les mots de Nelly Hourcade, co-responsable de l’association Le Café des parents en deuil, un espace de soutien et de bienveillance pour les parents endeuillés, illustrent ce que vivent les familles touchées par la perte d’un ou plusieurs enfants. En plus de la violence de leur deuil, ils et elles subissent aussi un abandon de la société et des institutions.
Le silence du deuil, l’isolement des familles
Un trop faible accompagnement psychologique et trop peu de jours de congés sont proposés aux proches endeuillés d’un enfant. Pendant le cancer généralisé neurofibromatose de son fils, Christophe Maupuy a pu bénéficier de séances avec un psychologue. Pourtant, quand son fils Timothé est décédé à 22 ans, plus aucune aide ne lui a été proposée. Il s’est retrouvé sans ressources et a dû retourner au travail. Avant même le décès de son fils, Christophe s’est senti pénalisé dans son emploi lorsqu’il accompagnait Timothé dans la maladie. Épuisé par les allers-retours aux rendez-vous médicaux, Christophe n’était plus « assez bon », l’entreprise a donc changé son poste de conseiller bancaire pour le mettre au guichet : « Je me suis senti puni », déclare-t-il. Dans le Code du travail, en cas de décès d’un enfant, les parents ont le droit à un congé de quatorze jours ouvrables et huit jours supplémentaires si l’enfant a moins de 25 ans. « Moi, je n’ai eu qu’une semaine, ce qui est dérisoire », déclare le chargé de clientèle. Il a dû demander à son médecin traitant pour obtenir un arrêt de travail d’un mois. Sans soutien psychologique, il a été contraint de retourner au travail.
Isabelle Lombard, psychologue en cancérologie et cofondatrice de l’association La petite fille aux allumettes, confirme : « On accompagne bien les parents pendant la maladie de leur enfant à l’hôpital, mais il n’y a rien après pour s’occuper de la famille. » Certains hôpitaux peuvent proposer des Consultations dédiée aux proches endeuillés par suicide (CPES) comme le Centre hospitalier Charles Perrens à Bordeaux. De son côté, Annie* a pu être accompagnée par une aide psychologique après le suicide de son fils Flavien*. « J’ai bénéficié de neuf mois de suivi à l’hôpital après qu’on vous laisse choisir, alors que vous êtes brisée toute la vie. » Pourtant, Corinne Martin, qui a perdu Alexandre d’un suicide en mars 2024, déplore le manque de moyens. « J’ai eu de la chance car chaque parent n’est pas sélectionné. J’ai mis par la suite trois mois à trouver un psychiatre. »
Des associations qui « devraient être d’utilité publique »
Isabelle Lombard confirme que le service au CH Charles Perrens qui n’existe que depuis un an et demi, est déjà saturé. En 2013 la psychologue crée La petite fille aux allumettes pour apporter un soutien supplémentaire en Gironde pour parents et enfants endeuillés. Devant l’afflux d’appels, avec sa collègue Danièle Klein, elles ne refusent personne et les prennent rapidement en charge dans des groupes de paroles. Ce sont aussi les personnes concernées qui s’engagent pour pallier ce manque, créer ce qu’ils et elles n’ont pas trouvé ailleurs. C’est le cas de Caroline Chevalier, maman d’une fille suicidée en 2019. « Soit je meurs à petit feu, soit je me reconstruis », avoue Caroline qui a fondé avec deux autres mères, Hélène et Sandra, l’association Les Mamans Lumineuses et les papas aussi en 2021. « J’avais besoin d’un lien humain et d’une main tendue donc j’ai créé cette main tendue », déclare-t-elle. Si les associations accompagnent dans la douleur du deuil, elles tentent d’aiguiller malgré les manquements qui persistent. « Comment paie-t-on un enterrement de 13 000 euros quand on gagne 1 400 balles par mois ? » déplore Marie Aurélie, mère de Louis-Ray décédé en 2021. De son côté, Corinne Martin trouve que l’associatif est « une deuxième famille, où toute la parole est accueillie sans jugements ». Pour Monique Thomas qui a perdu son fils Jérémy, âgé de 34 ans en 2021 d’un Staphylococcus aureus, l’association a été sa bouée de sauvetage : « On n’a pas besoin de faire semblant ici. On est là pour parler de notre enfant et de nous, ça nous rend libres. » Le café des parents en deuil a grandement aidé Christophe dans sa peine : « Ça m’a aidé à accepter. Aujourd’hui je peux dire le prénom de mon fils et en parler. » Pour lui, l’association l’a aidé à dépasser les stéréotypes : « Il y a ce côté masculin ou on se dit qu’on va s’en sortir seul », et à accepter de l’aide pour s’en sortir. La co-présidente de l’association le Café des parents en deuil, Nelly Hourcade précise que « les associations d’accompagnement au deuil d’un enfant devraient être d’utilité publique ».
« Il faut juste dire « je suis là » »
Quand la parole se libère, pour le reste de la société, il reste encore beaucoup à faire. Dû au tabou qui touche au deuil des enfants, les familles endeuillées ne sont pas seulement délaissées par les institutions, mais aussi par leurs proches. « Nous faisons peur aux gens, ils se détournent de nous parce qu’ils ne savent pas quoi dire, nous nous sentons très seuls », explique Annie qui a perdu son fils, Flavien, en 2021. « C’est comme si on vous bâillonnait », assène la mère de famille. Certains parents sont allés jusqu’à devoir couper les liens avec leurs proches : « J’ai perdu des amis, tellement c’était violent », décrit Caroline Chevalier. Corinne Martin partage aussi cette solitude depuis la perte de son fils : « Rien qu’un texto, ça m’aurait fait du bien » lâche-t-elle avant d’ajouter : « J’ai tourné le dos à certaines personnes. » Pour la cofondatrice de l’association, les attentes ne sont pas grandes : « Les longs discours ne valent pas la peine, il faut juste dire « je suis là » et ça vaut tous les messages d’amour du monde. » Les responsables d’associations qui accompagnent les familles endeuillées déplorent ce tabou étouffant qui freine les familles dans leur deuil. « Dans notre société, on nous dit vite de passer à autre chose et de tourner la page », assure Nelly Hourcade, coprésidente de l’association le café des Parents en deuil. Si les parents des enfants disparus se sentent abandonnés, les frères et sœurs endeuillés sont souvent les plus négligé·e·s dans leur douleur. « Nous nous sentons moins légitimes dans notre peine, parce que face aux parents, nous ne voulons pas en rajouter », avoue Emilie Taupiac, sœur de Rémi décédé en 2017 à la suite d’un accident de moto. La société reste sourde à cette douleur et les mots sont parfois trop violents. « J’ai déjà entendu : « Tu te rends compte que ta mère a perdu son fils ? » D’accord, mais moi j’ai perdu mon frère, qui est aussi la chair de ma chair », se rappelle Émilie. Ce sentiment est largement partagé par Billie âgée de dix ans. Elle a perdu son grand frère Louis-Ray il y a trois ans : « Il me manque beaucoup, je me sens différente de tout le monde ». Si la jeune fille ne parle pas de son deuil, elle le vit au quotidien. Avec sa mère, elles ont consacré une étagère dans le salon en hommage à Louis-Ray. Billie y a déposé la carte Pokémon préférée de son frère : celle du chat Mew.
L’après : survivre et vivre avec le deuil
« C’est une mort tellement puissante qu’on aura toujours ce manque, ce gros trou dans le cœur, parce que c’est la personne avec qui on a vécu depuis toujours », décrit Émilie, la sœur de Rémi. De son côté, Marie Aurélie, maman de Louis-Ray et de Billie, avoue que « le deuil, on le fera jamais; c’est le deuil qui nous fait. Ma vie s’est arrêtée le jour où j’ai enterré mon fils ». Face à ce vide laissé par la perte d’un être cher, certain·e·s commencent de nouvelles activités comme Corinne. « Je m’aide avec la danse et le théâtre, je reste ainsi connectée à Alexandre. » Quant à Annie, elle refuse de se couper du monde malgré sa douleur. La retraitée pratique de nombreuses activités sportives comme la natation. La linguiste a même choisi de s’essayer au russe, sous les conseils de son fils avant qu’il ne décède. « Maintenant c’est mon fils qui veille sur moi. Quand je pense à lui, je l’imagine avec son beau sourire », confie-t-elle.
*Les prénoms ont été modifiés
Sofia Goudjil et Emma Bevivino
Shakoul, quand Marie Aurélie nomme l’indicible
Les mots manquent pour nommer les parents, frères et sœurs endeuillé·e·s d’un enfant. Il faut alors écrire pour trouver ces mots. Billie, 10 ans et sœur de Louis-Ray, avoue écrire des histoires, des enquêtes sur son téléphone. Quant à sa maman, Marie Aurélie, elle a trouvé un mot pour se nommer et donc pour exister.