Difficultés d’accès aux postes prestigieux et manque de représentation des femmes à l’écran : à l’instar d’autres secteurs culturels, le cinéma d’animation reste encore un domaine très masculin. Si des initiatives institutionnelles et associatives en faveur de la parité voient le jour, la sensibilisation à ces questions reste insuffisante, notamment lors de la formation.
Le Cartoon Movie représente une occasion en or pour les réalisateurs et producteurs… mais un peu moins pour les réalisatrices et productrices. Pour cette 25e édition, seulement 22% de femmes sont à la tête des projets présentés. Côté production, ce n’est pas beaucoup mieux : seul un tiers des projets a une femme comme productrice principale.
Au-delà du festival, les inégalités de genre persistent dans le secteur de l’animation, autant à l’écran que derrière les caméras. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la parité est loin d’être atteinte. En 2022, les femmes représentent seulement 22% des chef·fes d’entreprises dans la production d’animation, selon une étude sur la parité dans les médias pilotée par le collectif «Pour les femmes dans les médias». C’est dans les métiers administratifs que les femmes sont le plus représentées, et la part des femmes en temps partiel reste deux fois supérieure à celle des hommes. Et ce n’est qu’en 2017 que les premiers films entièrement réalisés par des femmes voient le jour (Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Les Secrets de mon père de Vera Belmont).
Une lente féminisation
Le secteur tend toutefois à se féminiser, si l’on se fit à la composition des écoles qui forment aux métiers de l’animation, où les filles sont aujourd’hui majoritaires. «C’est en train de bouger, mais ça ne veut pas dire que la profession se féminise», tempère Mélanie Lallet, sociologue des médias spécialiste du genre dans les médias et autrice de l’ouvrage Libérées, délivrées ?. Le plafond de verre est en effet bien réel dans ce secteur, et le rythme parfois soutenu du métier est peu compatible avec la charge mentale et familiale endossée par la plupart des femmes.
Malgré ces difficultés, leur part dans le secteur de la production en animation est en légère augmentation : elle est passée de 37 % en 2019 à 40 % en 2022 d’après le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Une avancée à nuancer puisque une polarisation genrée persiste. Les femmes sont davantage présentes dans les métiers d’accompagnement de la production de films et programmes d’animation qu’au sein des métiers du tournage et de la postproduction.
Si les équipes sont si masculines, c’est aussi parce qu’il existe un déni, voire une résistance de la part de certains hommes. «La majorité des recrutements dans l’animation se font via des groupes Facebook, qui sont malheureusement très masculins, voire carrément masculinistes», note la chercheuse.
«Les femmes, comme les hommes, reproduisent des stéréotypes»
S’il est bien sûr souhaitable de tendre vers l’égalité derrière les caméras, il faut aussi s’attaquer à la question des représentations des femmes dans les films : «Le sexisme est aussi intériorisé par des femmes, explique-t-elle. J’ai rencontré une productrice à qui on demandait de faire du girly pour les filles. Elle s’exécutait sans se poser de questions, puisque c’est son travail, et il faut qu’elle gagne sa vie !»
Pour la sociologue, la place des femmes a beaucoup évolué à l’écran. Dans les années 1950, il n’y avait tout simplement aucun personnage féminin. Puis dans les années 1970, les femmes sont apparues à l’écran, mais restaient très stéréotypées. Le tournant s’est fait dès 1990, où de nouvelles thématiques sont évoquées : à l’écran, on parle de sexualité ou encore de recomposition familiale. «Et on retrouve enfin des personnages forts ! se réjouit Mélanie Lallet. Les femmes représentent 50 % des êtres humains, donc elles devraient représenter 50 % des personnages ! Et ce n’est pas le cas dans l’animation. C’est dommage, parce que cela représente un monde déformé par les rapports de pouvoirs.»
En cette édition 2024 du Cartoon Movie, la parité au niveau des personnages est respectée : 58% des projets présentés comportent au moins un personnage féminin principal, d’après la direction de l’événement.
Éveiller la majorité des professionnel·les
Pour contrer cet entre-soi masculin, des collectifs se forment et se mobilisent. C’est le cas de l’association Les femmes s’animent (LFA), qui organise des évènements ouverts à toutes et tous, où les femmes peuvent se sentir libres d’échanger leurs cartes de visite. Le CNC a également mis en place un certain nombre de mesures pour promouvoir l’égalité devant et derrière les caméras, comme le «bonus parité». En 2022, 16,7 % des films d’animation en ont bénéficié. Mais pour Mélanie Lallet, ces efforts sont toujours insuffisants : «Il faudrait surtout que le questionnement autour des questions de genre, de la parité et des violences sexistes et sexuelles soit présent dans la formation, propose-t-elle. Certaines personnes sont déjà sensibilisées, beaucoup sont d’ailleurs queer dans ce milieu. L’enjeu est maintenant d’éveiller la majorité des professionnels !»
Agathe Di Lenardo