Alors que la semaine de sensibilisation aux violences sexistes, sexuelles et discriminations a ouvert lundi 12 février, les tensions ont resurgi autour de la gestion de l’accompagnement des victimes par l’université. La colère de certain·es étudiant·es et des associations féministes se cristallise sur la cellule de signalements, bien que le dispositif fasse de son mieux. Sans pour autant être adapté. Décryptage.
Dans le hall de l’Université Bordeaux Montaigne (UBM), les panneaux de l’exposition Fais pas genre ont été installés. L’exposition a été inaugurée lundi 12 février, à l’occasion de l’ouverture de la semaine de sensibilisation aux violences sexistes, sexuelles (VSS) et discriminations. « On a voulu une semaine avec un programme pluriel, varié : formations, rendez-vous cinéma, théâtre, bande dessinée, conférences, expositions… C’est un événement auquel on est beaucoup attaché », souligne Marie-Christine Lipani, chargée de mission Égalité et lutte contre les discriminations à l’Université Bordeaux Montaigne depuis mai dernier et enseignante chercheuse à l’IJBA. « Mon travail c’est vraiment de faire avancer la lutte contre les violences sexistes, sexuelles et les discriminations. Au-delà de toutes les polémiques, les affaires qui peuvent traverser un établissement universitaire, je suis contente que cette semaine puisse avoir lieu ».
Les polémiques étaient pourtant au rendez-vous, puisqu’une manifestation avait été appelée par Le Planning Familial 33, la CACIS-Maison d’Ella et l’AG féministe au moment du lancement de la semaine. Sous la pluie, avec une banderole « Justice pour les victimes », une soixantaine d’étudiant·es s’était rassemblée en soutien.
Depuis plusieurs mois, une affaire révélée par Sud Ouest secoue le département de philosophie de l’Université Bordeaux Montaigne. La professeure de philosophie Barbara Stiegler a porté plainte pour viol contre son collègue et ancien vice-président. Plusieurs étudiantes l’accusent également « d’agressions et harcèlements sexuels ». La cellule de veille de l’université avait été saisie par Barbara Stiegler en avril 2022, puis par les étudiantes à l’automne de la même année.
La colère des associations et des étudiant·es
Le jugement rendu public le 1er février 2024 par la commission disciplinaire délocalisée à Toulouse fait part d’une interdiction d’enseignement d’une année à l’encontre du professeur incriminé. Jugement considéré « trop clément » par les associations qui sont venues en aide aux victimes et pour les étudiant·es présent·es lors du rassemblement. Entre temps, une information judiciaire pour « viol, agression(s) sexuelle(s) et harcèlement sexuel » a été ouverte, a annoncé le 6 février 2024 la procureure de la République de Bordeaux.
Nicole Blet, militante du Planning familial 33 depuis 20 ans raconte que des étudiantes se sont tournées vers les associations féministes : « Elles sont venues nous voir en disant qu’elles avaient été victimes de harcèlement et d’agressions, qu’elles s’étaient tournées vers l’université pour être protégées, soutenues, entourées, accompagnées… et qu’elles n’avaient pas de nouvelles de ce qui se passait, qu’elles étaient démunies. Elles demandaient du soutien ». Proposer une semaine de sensibilisation aux VSS dans ce contexte lui semble être « un cataplasme sur une jambe de bois. On estime en soit que l’organisation de cette semaine est une bonne idée, mais il faudrait quand même une prise en compte beaucoup plus importante et beaucoup plus efficace des victimes ». Le Planning familial 33 et le CACIS-Maison d’Ella ont refusé de participer à la semaine de sensibilisation aux VSS dénonçant une « instrumentalisation ».
Eva, étudiante en M1 d’études anglophones, ne participera pas non plus à la semaine de sensibilisation aux VSS et dénonce l’hypocrisie de l’institution. « La fac ne prend pas responsabilité de ces victimes-là et des violences qui ont lieu sur le campus. C’est une gestion assez déplorable des témoignages des étudiantes ».
Brigitte Tandonnet, médecin gynécologue et co-présidente de CACIS, déplore l’arrivée tardive de cette semaine de sensibilisation. « Ça fait un peu communication. Ça attire l’attention, c’est bien, ça permet une prise de conscience. Mais il faut que ce soit suivi des faits au quotidien : c’est-à-dire que s’il y a une cellule d’écoute, il faut qu’elle soit vraiment effective et efficace, ce qui n’a pas semblé être le cas les années précédentes. » Marie-Christine Lipani a conscience de cette colère : « Je respecte vraiment la liberté d’expression, chacun est libre de penser et chacun a sa lecture des éléments. […] Je ne vais pas commenter des choses qui ne m’appartiennent pas. »
Une cellule fonctionnelle mais inadaptée
En effet, la chargée de mission Égalité précise que la cellule de signalements actuelle a été mise en place en août 2022. « Les gens font un amalgame avec des faits qui remontent à plusieurs années. C’était une autre période et une autre cellule . » Bien que les chiffres du nombre de signalements n’aient pas été rendus publics, Marie-Christine Lipani est formelle : « La cellule fonctionne ». Selon elle, les étudiant·es et le personnel de l’UBM savent qu’elles et ils peuvent se tourner vers elle.
Pourtant, dans les couloirs de la faculté, les étudiantes interrogées n’ont pas connaissance de la cellule de signalements. Ignorances que Marie-Christine Lipani ne semble pas découvrir. Elle reconnaît que la communication autour de la cellule pourrait être améliorée. «C’est pour ça qu’on a créé un prospectus qui liste tous les contacts utiles ». On y lit que si un·e étudiant·e est victime de VSS, il ou elle peut saisir la cellule de signalements et envoyer un email ou un courrier postal. Des moyens qui ne semblent pas adaptés, « pas assez humains » d’après Milena et Eva étudiantes en L3 Anglais-Japonais, qui de toute façon n’ont « pas confiance en la fac ».
Sur le site de l’Université de Bordeaux Montaigne, les objectifs de la cellule de signalements sont listés : aide, écoute, soutien, accompagnement et protection. Dans la mesure de leurs capacités. « Il y a une confusion dans le travail de la cellule : elle fait le signalement et des préconisations. Elle n’est pas liée au travail disciplinaire. On n’a pas la capacité légale d’agir sur le côté pénal », témoigne Lucile Rimbeaux, secrétaire de la cellule. On comprend donc que la cellule n’a pas de rôle décisionnel, sa fonction est de diriger les victimes vers les services correspondants. Lucile Rimbeaux déplore ne pas pouvoir recueillir davantage de signalements et de manière plus qualitative. Par exemple, bien qu’il en ait été question, il n’y a pas d’accueil téléphonique pour le moment, faute de moyens humains et matériels.
L’adresse email comme moyen de communication est le reflet du rôle que joue la cellule : un moyen de recueillir des signalements sans pouvoir offrir d’accompagnement psychologique professionnel au sein de la cellule de signalements. Or c’est ce manque d’accompagnement qui lui est justement reproché, en plus de sa composition et de son fonctionnement arrêtés par décision du président de l’UBM.
Une cellule extérieure à la fac serait-elle plus appropriée ? Dans les faits, ces derniers mois, ce sont les associations qui ont joué le rôle de soutien et qui ont accompagné les victimes. Les associations et les étudiant·es reprochent à la cellule de ne pas faire ce que pour autant elle n’est pas en capacité de faire, puisque ce n’est pas ce pourquoi elle a été pensée. Et c’est peut-être là le cœur du problème.
Marga Berra Zubieta et Leire Casamajou Elkegarai