Désignée Centre de Préparation au Breakdance pour les jeux olympiques 2024 en octobre dernier, la ville mise sur cette pratique en évolution depuis 10 ans. Derrière cet engagement, la volonté d’intégrer les jeunes par le sport et de changer l’image d’une commune longtemps dénigrée.
Les beats résonnent sur le sol. Une main par terre, Cad essaye de tenir en équilibre. Mécaniquement, il répète cette figure plusieurs fois. Seul son t-shirt mouillé par la transpiration trahit son effort. Concentré, ce Bboy qui break depuis 10 ans ne se laisse pas perturber. Cela fait maintenant plusieurs mois que lui et son ami Léo viennent danser dans la salle de l’espace Brassens Camus. « J’ai déménagé rive droite et cette salle est la plus proche de mon lieu d’habitation”.
Situé au cœur du quartier prioritaire de la Ramade à Lormont, ce complexe sportif a été créé en 2016 par la ville avec l’objectif de mettre à la disposition des habitants un lieu culturel et associatif vibrant. Terrain de street basket, studio d’enregistrement, bowl de skate : la majorité socialiste de Lormont mise sur les cultures urbaines pour attirer les jeunes. Avec une salle de danse accessible gratuitement et librement, le breakdance s’est imposé progressivement. » l y avait l’envie de la part de la municipalité d’utiliser les cultures urbaines pour capter une jeunesse qui a le goût pour ces pratiques. C’est le service jeunesse qui a amené le break à Lormont » précise Linda Desir, coordinatrice pôle culturel à la mairie. Depuis 2012, la ville accueille le festival Money Time Battle, une compétition internationale de breakdance.
Cet événement d’ampleur internationale trouve sa genèse dans une initiative locale : faire du break un support d’animation pour valoriser le parcours de jeunes. Aujourd’hui référente Breakdance à la Mairie, Emilie Bravo était présente au début de l’aventure : « Une de mes missions était de mobiliser les jeunes filles, de leur permettre de s’émanciper à travers la pratique ». Courant 2012, elle emmène des Lormontaises en Allemagne et à Marseille assister à des compétitions. Dans ces deux voyages naissent des vocations : « Quand on est revenus, les filles m’ont dit qu’elles aimeraient monter leur propre évènement ». L’année suivante, Lormont recevait les breakdancers de toute la France pour un Money Time Battle qui sera reconduit reconduit d’année en année.
« Cette salle, c’est un don du ciel”
“Les pouvoirs publics ont compris le potentiel du hip-hop et du break pour offrir un service d’utilité public en utilisant le tissu associatif” résume le sociologue Benjamin Paon. Enseignant-chercheur à l’université Paul Valéry à Montpellier, il réalise une thèse sur la normalisation du Hip hop en France. Selon lui, il faut revenir aux années 1980 pour comprendre la mainmise de la ville sur le break. Auparavant, la pratique était autogérée : les crews dansaient dans les espaces publics pour se rendre visibles. » Une action publique a été menée pour libérer l’espace public et pour intégrer une jeunesse marginalisée des quartiers prioritaires à travers ce sport ” complète le chercheur.
Au Brassens Camus, le breakdance se pratique en intérieur. Un changement notable selon les performeurs. Andy Andrianasolo est membre du groupe New Youth Post et s’entraîne à Lormont depuis 2019 : « l’avantage, c’est le confort”. Ce danseur confirmé pointe les bénéfices d’un lieu fermé et disponible toute l’année : “dehors, impossible de s’entraîner en août et décembre à cause de la chaleur et du froid. Mais avec une salle c’est possible désormais”. Considéré comme un pionnier localement, il met en avant chaque détail qui améliore sa pratique : « Les miroirs nous permettent de scruter nos gestes. Le revêtement au sol facilite nos gestes. Même les prises électriques comptent pour nous, puisqu’elle nous permettent de brancher nos appareils à volonté. À l’extérieur, notre entraînement est limité par la performance de nos batteries de téléphone”.
“Pour moi cette salle, c’est un don du ciel ” explique Gust Dandy, membre de la DandyFamily, une association qui dispense des cours de breakdance au Brassens Camus. Pour celui qui s’entraînait sur le bords des quais de la Garonne, la pratique en intérieur permet de moins traumatiser son corps : “nous on a eu plusieurs blessures en hiver : tu as beau t’échauffer pendant 20 minutes, la fraîcheur reprend toujours le dessus ”
Le breakdance se transforme petit à petit. Et ça impulse un changement d’identité selon Benjamin Paon : “C’est une autre approche de la pratique par cette institutionnalisation. On est passé d’une activité informelle à un sport très encadrée ou on préserve l’éthique et la sécurité. ”
Le chemin est encore long
Attirer des jeunes au breakdance n’est pas une tâche simple. Le break est exigeant, technique et complexe. Il faut s’accrocher pour réaliser des figures acrobatiques impressionnantes. “Ca fait mal. Ça demande du temps et il ne faut pas avoir peur de tomber » explique Andy. Un mix de contraintes qui n’encourage pas les jeunes. Ce constat, le danseur l’a dressé en organisant des ateliers dans des écoles de la ville. “Quand certains essayent, ils laissent tomber rapidement car ça demande de l’investissement”.
Et cet obstacle est d’autant plus difficile à franchir que la ville traîne encore le poids des clichés. “La rive droite et Lormont font peur. L’espace Brassen ne rayonne pas comme il le devrait. Je pensais que le break et le hip-hop allaient casser ces codes, mais je n’en ai pas l’impression” avoue Linda. Il arrive que ce grand espace de 257 mètres carrés soit vide. Pour Linda, coordinatrice pôle culturel, la solution ne se trouve pas dans la multiplication d’événements : “c’est pas parce qu’il y a des rencontres break que les danseurs viennent ici”. Faire connaître le centre et ses pratiques reste donc un défi. “On s’attend à ce que des habitants viennent au pôle mais ce serait bien que les ateliers break aillent dans les quartiers” complète Andy. Plus facile à dire qu’à faire. Selon Benjamin Paon, cette difficulté va de paire avec l’évolution d’un break qui change et se retrouve dans des lieux nouveaux: “d’une pratique underground et libre, elle devient présente dans les centres culturels, au théâtre” explique le sociologue. Sur scène compétitive également puisque Lormont a été nommé centre de préparation aux Jeux Olympiques pour les épreuves de Breakdance. « Il y a une forte volonté de montrer une autre image de la ville, on veut que les gens aient envie de venir à Lormont » assure Emilie Bravo. Avec un établissement labelisé pour le break, le seul de Gironde parmi les 27 en France, la commune s’appuie sur son savoir-faire : « On a accueilli pendant 2 ans les qualifs du championnat de France pour la Région Nouvelle-Aquitaine. Les organisateurs ont pu voir nos structures » précise la référente de Lormont. Derrière cette sélection, la possibilité de poursuivre pour la commune la démarche entreprise depuis 10 ans : » Pour nous ce n’est pas une finalité. C’est la suite logique des choses. Ce qui compte c’est le contact avec le public, la culture hip-hop est basée là-dessus. » Multiplier les rencontres pour changer l’image d’une ville et la rendre attractive au sein de la métropole.
Marie Colin @Marie_colin_
Vincent Grillon @Vincentgrlln_